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scientifique des plus étranges et des plus audacieuses. Or cette distinction est la pierre angulaire du système nouveau, qui place le principe dynamique entre les corps et les âmes comme un principe intermédiaire seul capable de les mettre en rapport, et toutefois différent des uns et des autres.

La mécanique rationnelle étudie le mouvement, mais elle n’analyse point la nature de la force, elle la définit « la cause du mouvement » sans examiner d’ailleurs ce que peut être cette cause. Par une abstraction hardie, elle figure toutes les forces par des pressions ou tensions linéaires qui s’exercent sur des points, de telle sorte que les dessins où ses raisonnemens se symbolisent montrent seulement quelques flèches dirigées en des sens divers. Que représentent ces flèches ? Des forces. Et que représentent ces forces ? Tous les physiciens répondront qu’elles représentent l’action d’une substance matérielle. M. Hirn soutient que ces forces sont indépendantes de toute substance physique. Pour la plupart des esprits, l’idée de force ne se sépare pas de l’idée d’un corps fort. L’idée d’affinité chimique se lie invinciblement à celle des atomes, l’idée de cohésion à celle de substances cohérentes, l’idée de magnétisme à celle des aimans, l’idée de gravité à celle des graves. La force est comme une puissance occulte que nous logeons dans les corps et que nous ne concevons pas en dehors d’eux.

Si toutefois on analyse avec un peu d’insistance la notion de la force, on se heurte à de singulières difficultés. Même en jugeant de ce qui est hors de nous, nous ne pouvons jamais faire abstraction de nous-mêmes. La notion de force se présente à notre intelligence sous la forme d’un effort, d’une pression, d’une tension. Quand notre main soulève un poids, nous avons conscience que nous exerçons notre force musculaire ; mais notre main touche alors, saisit et soulève le poids. Que voulons-nous dire pourtant quand nous affirmons que le soleil attire la terre et que la terre attire la lune ? Point de contact ici ; c’est à travers l’espace immense et vide que la force se fait sentir ; où est la main qui retient ces globes immenses, la corde qui les fait tourner comme dans une fronde ? Par quel intermédiaire le pôle terrestre remue-t-il l’aimant et l’oblige-t-il à se tourner toujours de son côté ? Il semble qu’il y ait comme une volonté inquiète dans les molécules de l’acier. Quand un courant passe dans un circuit électrique, c’est à la faveur d’une certaine continuité dans les élémens matériels du circuit ; mais comment un circuit voisin se trouve-t-il tout d’un coup comme ému et traversé par un de ces courans dits induits qui ne naissent d’aucune action de contact ? Attirer, repousser, ces mots n’ont plus de sens précis sitôt que nous ne voyons plus la chaîne qui se tend ou se détend. Là même où nous parlons de contact, y a-t-il contact en