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Grecs entre eux, qu’elle leur ôte toute action commune, et qu’elle arrête tout progrès. On pourrait d’abord demander lequel vaut le mieux de la division dans la liberté ou de l’unité dans la servitude. Qu’il n’y ait ici d’ailleurs aucune communauté d’action, c’est ce qui est démenti par la guerre de l’indépendance et par l’affaire de Crète, où l’opinion publique et l’unité d’action et de sentimens se sont montrées d’une manière si évidente. Les luttes de chaque jour sont la condition même de la liberté ; l’ordre n’est pas le silence ; le progrès consiste non à faire taire les hommes, mais à exécuter la loi selon la justice, à écarter ainsi les violences et à déjouer les révolutions. C’est là une question de temps et d’éducation politique. Quand les forces morales auront trouvé en Grèce leur équilibre par les moyens que j’ai indiqués, on verra l’ordre s’établir peu à peu sans que le peuple ait besoin de renoncer aux biens qu’il a conquis. On peut observer que les républiques antiques de la Grèce, et notamment celle d’Athènes, ont été livrées à des agitations perpétuelles précisément parce que cet équilibre dont nous parlons s’y était rompu de bonne heure et n’avait jamais pu s’y rétablir, car elles se composaient des mêmes élémens que le peuple grec d’aujourd’hui, et n’avaient pas dans l’agriculture et l’industrie le contre-poids que celui-ci est à même de se donner. Si les Grecs, comme ils paraissent en sentir la nécessité, veulent s’appliquer à développer chez eux les forces industrielles et agricoles dont ils disposent, on verra les oisifs trouver des occupations honnêtes et les gens turbulens devenir des citoyens paisibles. C’est en effet ce qui arrive dans tous les pays de l’Europe : l’immense besoin de paix qui s’y fait sentir n’est dû ni à une opposition à l’impérialisme, ni à un abaissement des cœurs, ni à une théorie quelconque ; elle est due à la condition même des citoyens, que leurs intérêts bien entendus et leur juste solidarité ont rendus de plus en plus amis du repos public. Il n’y a aucune raison pour qu’un phénomène tout semblable ne se produise pas chez les Grecs ; peu d’hommes ont le caractère aussi doux et s’accoutument plus aisément à jouir du repos que la paix procure. Ceux de nos diplomates et de nos marins qui ont vu de près les Crétois s’accordent à regarder ce peuple comme le plus facile et le plus docile qui se puisse rencontrer. Par conséquent, ce qui doit préoccuper les esprits, soit en Grèce, soit ailleurs, ce n’est pas de soumettre les hommes de cette race à une répression insupportable, c’est de réaliser parmi eux les conditions de la paix.

La situation du royaume grec à l’égard des peuples qui l’entourent procède de ce que la Grèce est un état libre. Si elle était soumise, soit à un petit monarque absolu, soit au tsar, cette situation