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d’une force musculaire à renouveler les exploits de la Brunehild des Niebelungen et qu’elles jouissent de la paix du Seigneur dans le sein d’Abraham depuis plus de deux cents ans, nous oblige de priver nos lecteurs de la divertissante description de ce chef-d’œuvre grotesque. Oh ! comme devant ces peintures, qui présentent les images de tant d’honnêtes gens, on sent par contraste le prix de l’Italie, et comme l’imagination s’élance avec bonheur vers ses bandits et ses sirènes.

Ce qu’il faut chercher dans ces tableaux, c’est donc exclusivement le talent des peintres : il est souvent fort considérable. Parmi la multitude des artistes qui se sont employés à ces archives coloriées, deux surtout veulent être cités, van der Helst et Franz Hals. Van der Helst, le plus remarquable des deux à mon avis, présente un caractère des plus singuliers et des plus embarrassans. C’est incontestablement un artiste de premier ordre. Comme science du métier, il ne le cède à personne. Ses figures sont peintes avec une fermeté pleine à la fois de franchise et de patience. Son coloris est vif et plaisant à l’œil ; le célèbre tableau du Repas de la milice bourgeoise est aussi frais encore aujourd’hui que s’il venait de sortir de l’atelier. Il y a mieux, il possède à un très haut degré le sentiment de la vie : eh bien ! qui nous dira pourquoi malgré tout cela van der Helst nous laisse sans satisfaction aucune, pourquoi nous quittons ses toiles avec la pensée qu’il manque là quelque chose que nous ne pouvons définir ? Ce qui manque à van der Helst, c’est un atome de ce don sans lequel les talens les plus forts et les plus variés ne peuvent nous sauver de l’infériorité, le génie. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à jeter les yeux sur la Ronde de nuit, qui fait face à son tableau du Repas de la milice à la Trippenhuys. Il y a entre ces deux toiles à peu près la même différence qu’entre un bal donné à l’hôtel de ville de Paris à la clarté du gaz et un bal donné sous la lumière de la lune par les fées et les génies. D’un côté tout est magie et poésie, de l’autre tout est froide magnificence. Certes ce n’est point l’éclat qui manque à la toile de van der Helst : que ces écharpes sont brillantes, que ces costumes sont riches ! A l’exception de la robe jaune de la petite blonde de la Ronde de nuit, et, si l’on veut, du pourpoint du seigneur qui est sur le premier plan, Rembrandt n’a pas eu recours à d’aussi pittoresques chiffons ; toutes les étoffes de son tableau sont de couleurs éteintes ou sombres, y compris le costume en velours rouge foncé de l’arquebusier qui est à l’un des angles du tableau. Cependant celle des deux toiles qui donne le plus le sentiment de la couleur, c’est la Ronde de nuit. C’est qu’il manque à la toile de van der Helst cette souveraine harmonie que Rembrandt