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et des Bréderode ! On croit entendre d’ici leurs naïves exclamations : « nous y sommes tous, tous, l’enseigne sur le devant avec son drapeau entre les cuisses et rouge comme une écrevisse, le commandant debout, le sergent au second plan ; » mais, quelque joie que ces bonnes gens aient ressentie en se voyant ainsi pourtraicturés, il semble que le peintre en ait éprouvé une aussi grande à tracer leurs ressemblances. Aussi règne-t-il dans les peintures de Hals une cordialité démocratique très réelle et qui est vraiment touchante.

Deux observations qui n’ont d’importance que pour le moraliste nous ont frappé devant ces peintures de Franz Hals. La première est faite pour plaire aux partisans de l’inégalité des conditions. Hals a peint les officiers de deux compagnies d’archers, la compagnie de Saint-George et la compagnie de Saint-Adrien. L’une était composée de plébéiens et de bourgeois, l’autre de gentilshommes. Croiriez-vous qu’à première vue on devine la différence, et qu’on découvre avant enquête la composition particulière de chacun de ces deux corps ? Rien n’est pourtant plus vrai. N’est-ce pas là une piquante application des paroles de Sbrigani : « Je vous ai reconnu tout de suite pour gentilhomme rien qu’à la manière dont vous mangiez votre pain ? » La seconde observation, c’est que, parmi ces régens d’hôpitaux, administrateurs d’établissemens municipaux, syndics de corps de métier, beaucoup sont de la plus extrême jeunesse. Autrefois, dans la bourgeoisie comme dans la noblesse, on abordait fort jeune la vie publique, au lieu d’y entrer comme de nos jours fourbu par l’âge, mais en revanche ayant tout à apprendre. C’est à cette heureuse habitude que l’ancienne société doit en partie de s’être maintenue si longtemps en dépit de tant d’orages. Il est vrai que cet avantage résultait d’un fait que nous devons regarder comme un mal, la perpétuité et l’immutabilité des conditions, et qu’il nous est interdit par la hiérarchie forcément mobile de nos sociétés démocratiques. Toujours est-il que jamais aucun siècle avant le nôtre n’avait entendu parler de gérontocratie, et qu’il était réservé à notre époque de lumières et de progrès de créer et le mot et la chose.


III. — Rembrandt

Rembrandt est après Rubens le plus grand artiste que l’on rencontre dans les Pays-Bas. Leur originalité exceptionnelle les place l’un et l’autre hors de pair ; c’est là tout ce qu’ils ont de commun. Quant à leurs dissemblances, elles sont aussi profondes et aussi nombreuses que possible ; cependant ces différences peuvent toutes se résumer en celle que voici. Quelque prodigieux que soit