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conséquence que l’on voudra. Cela ne veut pas dire que l’Allemagne désire la Gueldre ou que la Gueldre désire s’annexer à l’Allemagne ; cela veut dire que la Gueldre est une province mixte, de physionomie allemande, où les choses de l’Allemagne sont plus mêlées aux intérêts du peuple que dans les autres provinces hollandaises, et qu’il pourrait bien y avoir là, les circonstances aidant, moyen de faire à un moment donné une application de la théorie des races.

Tout le monde visite Arnheim, et personne ne visite Nimègue ; injustice notoire dont il faut sans doute chercher la raison dans la déplaisante situation que fait à Nimègue le non-achèvement du réseau des chemins de fer hollandais. Quand on est arrivé à Nimègue, on se sent comme prisonnier, et l’on ne sait comment continuer sa route à moins de rebrousser chemin. Tant pis pour les touristes qui reculeront devant ce léger inconvénient, ils y perdront le spectacle d’un panorama magnifique et d’une ville dont la physionomie compliquée est des plus instructives. Le Rhin n’offre nulle part de plus beau coup d’œil que celui de son fils le Wahal baignant les pieds de la vieille cité carlovingienne, dont le corps et les membres grimpent avec effort le long de la colline du Hoendenberg. J’engagerais volontiers nos partisans trop absolus du droit des races à venir méditer ici sur quelques inconvéniens de leurs théories. Nimègue est une ville mixte, à triple physionomie, allemande, française, hollandaise. Je suppose qu’un procès s’engage pour la possession de cette ville ; s’il fallait la restituer à son légitime propriétaire, le juge, pour peu qu’il fût impartial, se sentirait fort embarrassé. Elle appartient bien légitimement à la Hollande, car il serait difficile de trouver une ville qui représentât mieux le caractère mixte des Pays-Bas ; mais l’Allemagne alléguerait qu’elle contient un certain élément germanique, et la France pourrait la réclamer avec tout autant de justice pour des raisons analogues. La vérité est que dans des contestations de telle nature, les raisons étant égales de tous les côtés, le seul droit est celui de la force. S’il est un spectacle qui justifie la légitimité de la guerre, c’est bien celui des pays mixtes. On comprend alors que certaines guerres puissent être l’unique moyen de décider de la justice et du droit, puisque tels différends laissés à l’arbitrage de la raison pourraient durer jusqu’à la fin des temps. Rien n’est plus aisé que de faire de Nimègue une ville française, elle l’est déjà ; rien n’est plus facile aussi que d’en faire une ville allemande. Ce qu’elle est le moins, c’est une ville hollandaise, et peut-être précisément pour cela est-il juste que la Hollande la possède.

C’est sous le coup de ces impressions laissées par ma promenade à travers la Gueldre, et surtout par le spectacle de Nimègue,