Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/603

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et non réclamées par deux ou trois souches. Si l’on voulait appliquer rigoureusement le principe de la nationalité fondée sur la race, il faudrait aller bien plus loin que la constitution d’une Belgique, d’une Hollande, d’une Suisse ; il faudrait émietter bien plus encore ces petits états ; il faudrait constituer un pays wallon indépendant, une Flandre indépendante, une Gueldre et un Limbourg indépendans, une Suisse française, une Suisse italienne, une Suisse allemande. L’esprit de fractionnement du moyen âge, contre lequel se heurta Charles le Téméraire, était plus logique que nos théoriciens modernes, car lui au moins il ne reculait pas devant cette dissémination anar chique.

D’ailleurs la nationalité est déterminée tout autant par la configuration du sol que par la race et le langage, et, pour ne prendre que le point qui nous occupe, je défie qu’on me montre plusieurs pays dans la vaste plaine qui s’étend d’Arras au Helder. Vous partez d’Arras, la Flandre commence ; vous arrivez dans la Flandre, c’est encore l’Artois ; vous arrivez à Gand, c’est déjà la Hollande ; vous débarquez à Rotterdam, c’est encore la Flandre. La nature, on le voit, est mixte comme les habitans. Ce n’est guère qu’au-dessus d’Amsterdam que la nature se présente avec un caractère nettement tranché ; mais ce caractère est au fond le même que celui des régions qu’on vient de quitter, et il ne nous frappe particulièrement que parce qu’il a été épuré de tout mélange par une suite de lentes et insensibles transitions. Si la nature est le miroir de l’homme, où trouver plusieurs nations dans cette contrée si justement appelée les Pays-Bas ? L’entreprise de Charles ne blessait donc aucune différence essentielle, et ne commettait pas le crime de ces accouplemens monstrueux devant lesquels les conquérans n’ont pas toujours hésité. Nombreux sans doute sont les désaccords qui divisent ces populations ; mais plus nombreuses encore sont les sympathies qui les unissent. Les désaccords ont été engendrés non par la nature, mais par l’histoire : or ce que l’histoire a créé, elle peut l’effacer ; il n’y a que les antipathies essentielles établies par la nature qui ne peuvent se détruire. A la longue, le rapprochement de ces populations leur aurait créé une nationalité réelle, car de ce rapprochement il ne pouvait manquer de sortir un génie original qui n’eût été ni celui de la France, ni celui de l’Allemagne, génies entre lesquels elles ont toujours hésité. Réunies en une même monarchie, elles auraient fondé pour toujours leur indépendance, au lieu de la fonder pour un bail plus ou moins long, puisqu’elles auraient possédé des moyens de résistance qu’elles n’ont jamais eus par elles-mêmes, et qu’elles ont plus d’une fois été obligées d’emprunter à de puissans voisins. Est-ce que leur indépendance les a sauvées de