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croie que la bête a une âme ou qui ne se conduise comme s’il le croyait. Au contraire on sait ce qu’il en a coûté de sang et de tortures à toute une race humaine pour avoir paru trop ressembler au chimpanzé et à l’orang-outang. Hier encore, la moitié d’un grand peuple osait essayer de justifier l’esclavage en arguant de l’infériorité native des noirs. Est-on bien sûr que les canons aient anéanti cet odieux sophisme ? Une démonstration solide, éclatante, fondée sur des faits, répandue en tous lieux, reproduite sous mille formes, n’est-elle pas nécessaire pour compléter l’œuvre matérielle et toujours imparfaite de la guerre ?

Que l’on ne réponde pas, pour se mettre à l’aise, que cette démonstration existe, et qu’elle est, par exemple, dans le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, de Bossuet. Ce serait en vérité n’avoir que bien faiblement le sens des choses contemporaines. Le monde a marché depuis deux cents ans. Le siècle actuel a ses tendances, ses inquiétudes, ses curiosités, qui ne sont plus celles des premiers lecteurs de Bossuet. La vérité ne vieillit pas dans son fond ; mais les raisons qui en assurent le triomphe ne gardent pas invariablement la même puissance. Vient un moment où, comme des flèches émoussées, elles touchent les esprits sans y pénétrer. La meilleure psychologie comparée du XVIIe siècle en est là. Qu’on ne l’oppose pas aux évolutionistes : ils n’ont pas d’oreilles pour l’entendre, ou, s’il leur arrive d’y être attentifs, ils la combattent de toutes leurs forces. Vous leur répétez à satiété que l’homme est raisonnable, tandis que la bête ne l’est point. — Qu’en savez-vous ? réplique M. Schaaffhausen ; est-ce que la raison d’un Boschiman est supérieure à celle d’un gorille ? Comment voulez-vous, poursuit-il, que j’admire la raison d’un cannibale qui fait rôtir son ennemi vaincu et le mange à belles dents ? — Un air indigné ou un mouvement de sentimentale éloquence ne suffirait point à réfuter de telles objections. M. de Quatrefages y oppose, il est vrai, une série d’argumens redoutables ; mais enfin, aux yeux de beaucoup de juges sérieux, l’issue de la lutte est encore incertaine. Qui fera pencher la balance ? Il est temps que la philosophie intervienne. Elle le doit et elle le peut, car la question en litige est soluble, à une condition toutefois : c’est que les philosophes appliqueront au problème une méthode à la fois sûre et appropriée aux penchans intellectuels de notre époque. Cette méthode existe, elle est trouvée ; c’est celle que M. Agassiz recommande et applique. Insistons sur l’excellence de cet instrument de recherche, qui, employé parallèlement par les naturalistes et par les observateurs de l’âme, donnerait l’essor à la métaphysique moderne.

Cette méthode est à double face ; elle est aussi à double effet, puisqu’elle met en relief toutes les différences physiques et toutes