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gomme adragante. Lorsque le carreur travaille chez un bijoutier en boutique, le procédé est autre et exige un complice. Pendant qu’il fait son choix parmi les bagues ou les épingles qu’on a étalées devant lui, un mendiant se présente à la porte et demande l’aumône en nasillant. Le carreur a bon cœur, et l’infortune a le don de l’émouvoir. Avec un geste de commisération, tout en se plaignant de la police qui laisse circuler tant de vagabonds dans nos rues, il jette deux sous au pauvre et lui lance en même temps un bijou de prix. Le tour est fait, et le mendiant improvisé n’est pas long à disparaître. Si le marchand s’aperçoit de la soustraction, le carreur jette les hauts cris et demande à être fouillé. Comme il n’a rien sur lui, on se confond en excuses, et il s’éloigne en disant au pauvre boutiquier : Monsieur, c’est ainsi qu’on perd ses meilleurs cliens ! Le vol commis il y a peu d’années au préjudice d’un bijoutier du Palais-Royal, et dont la valeur montait à plus de 100,000 fr., était le fait de deux carreurs sur lesquels on n’a pu mettre la main. Les roulotiers vont par les rues à la rencontre, c’est-à-dire au hasard. Quand ils aperçoivent une roulotte, un camion ou une voiture chargée de colis ou de bagages ; ils la suivent, et si le conducteur l’abandonne un instant, si les sergens de ville ne sont point en vue, si en un mot l’occurrence paraît favorable, ils détachent un ballot, une malle, une caisse, se jettent dans la première rue détournée qui s’offre sur leur chemin, et s’en vont lentement comme des hommes fatigués par le fardeau qu’ils portent. Avant l’établissement des chemins de fer, les voleurs à la roulotte s’adressaient de préférence aux malles-poste, et y trouvaient parfois des aubaines inespérées. Sous le premier empire, un roulotier prit une vache sur l’impériale d’une voiture de voyage conduite à grand fracas et qui venait d’entrer à Paris par la barrière d’Italie. Dans cette malle, timbrée d’armes royales, il trouva beaucoup d’objets de prix et entre autres le diadème de la reine de Naples. Il en ignorait la valeur, de plus, il était amoureux et galant ; il le donna à sa maîtresse, une fille publique, qui le porta au bal de la rue Frépillon, sorte de bouge à bandits situé cour Saint-Martin. La parure y fut reconnue, et on la réintégra dans le trésor du roi Joachim. Il y a quelques semaines, trois jeunes roulotiers en quête d’aventures avisèrent un camion qui, chargé de caisses en bois blanc plombées, sortait de l’hôtel des monnaies. Le roulier s’arrêta chez un marchand de vin ; les voleurs, lestes comme des chats, s’emparèrent d’une des boîtes, filèrent par la rue Guénégaud et disparurent. Le service de sûreté fut prévenu immédiatement ; d’après quelques vagues indices recueillis par un témoin qui avait pris les jeunes drôles pour des ouvriers employés à la Monnaie, on crut