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ne jouit pas complètement de sa raison ; mais ils acceptent ce qui leur convient et les arrange, et ne tiennent point compte du contraire. » Quels que soient les motifs qui guidèrent les capitaines de l’armée des communes, ils firent aussitôt part de leur conviction aux chefs des villes soulevées, et partout le fidèle peuple castillan éleva des prières de reconnaissance vers le ciel.

Dans toutes les transactions où elle fut personnellement mêlée pendant ces cent trois jours de liberté, Jeanne fit preuve, sinon de beaucoup de résolution et de tact politique, au moins de tout le bon sens qu’on peut attendre d’une personne séquestrée depuis quinze ans et qui est dans la plus complète ignorance de ce qui s’est passé durant ce temps-là. Elle apporte quelque soin à sa toilettent s’occupe de celle de sa fille. Nous possédons encore les procès-verbaux des notaires sur les audiences qu’elle accordait aux chefs des comuneros, et rien ne permet de douter de la bonne foi de ces notaires. Les agens secrets d’Hadrien qui assistèrent à ces réunions fournirent des rapports tout à fait conformes aux leurs. La reine reçut très gracieusement, le 1er septembre, don Juan de Padilla et ses amis ; mais elle leur refusa sa signature. Le 24 septembre, elle donna audience aux chefs des rebelles, dont l’orateur, le Dr Zuñiga, professeur (cathedratico) à Salamanque, se mit à genoux devant elle pour lui lire son rapport. Elle lui dit de se lever, qu’elle l’entendrait mieux ainsi, puis se fit donner un coussin pour s’asseoir, car, ajouta-t-elle, « je veux tout entendre avec calme et à fond. » On lui dit d’approuver les actes du peuple révolté. « Tout ce qui est bon, répondit-elle, aura mon approbation ; mais tout ce qui est mal, je le condamne. » Elle passe rapidement sur la conduite de Ferrer et de Dénia envers elle. « Je suis une des deux ou trois reines souveraines du monde ; mais le seul fait que je suis fille de roi et de reine eût dû suffire pour que je ne fusse pas maltraitée. » Elle se plaint d’avoir été trompée par des hommes méchans qui lui ont caché la mort de son père, qui lui ont dit des « faussetés et mensonges, » qui l’ont empêchée de s’occuper des affaires publiques ; elle exprime son regret d’apprendre que les étrangers ont pressuré le pays, et elle félicite ses fidèles Castillans de ne s’être point vengés, comme ils auraient facilement pu le faire. Elle les engage à remédier aux maux du pays ; elle-même s’y emploiera autant que le lui permettra le chagrin dont elle est accablée, car elle vient seulement d’apprendre la mort de son père vénéré ; elle les prie de nommer une délégation permanente de quatre hommes de confiance pour venir délibérer avec elle, et quand Juan de Avila propose qu’on fixe à une séance par semaine les audiences de ces délégués, elle l’interrompt aussitôt pour dire qu’elle veut les voir et leur parler aussi