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de s’établir entre l’église et l’état ? L’idée exprimée dans les journaux, dans les brochures, dans la plupart des écrits au sujet du concordat, l’idée qui donne en Autriche le branle au mouvement dont les ministres cisleithaniens et le chancelier de l’empire ont dû se faire les interprètes, c’est que la destinée des peuples qui sont restés soumis au saint-siège est bien différente du sort de ceux qui s’en sont affranchis. Tandis que ceux-ci grandissent, s’élèvent, et par leurs colonies vont occuper tout l’autre hémisphère, ceux-là déclinent ou restent stationnaires. Les uns jouissent de la liberté comme d’un bien qui est le fruit naturel de leurs mœurs et de leurs croyances, les autres n’arrivent à la conquérir que pour la voir bientôt aboutir à l’anarchie ou au despotisme. Il n’est pas jusqu’à la cote des fonds publics à la bourse qui n’indique combien la situation des seconds est meilleure que celle des premiers. Depuis que l’Autriche a été soustraite de force aux influences du génie germanique pour être livrée au joug du génie ultramontain, elle a décliné sans cesse et n’a éprouvé que des revers. Son histoire n’est qu’un démembrement continu, l’amputation successive d’une province après l’autre. Il faut par un violent effort l’arracher à l’esprit qui cause sa faiblesse, sinon elle marche à sa ruine. — Telles sont les préoccupations qui, ayant pris dans l’opinion publique le caractère d’une impatience anxieuse et fébrile, forcèrent le ministère cisleithan à présenter, vers la fin de 1867, différens projets de loi ayant pour but de soustraire à l’autorité légale de l’église catholique le mariage, l’école, les actes religieux, les conversions d’un culte à un autre, de façon à faire de la liberté des cultes une vérité. Les discussions auxquelles ces lois donnèrent lieu au sein du Reichsrath nous permettront de saisir les opinions qui ont cours en Autriche au sujet de ces difficiles et importantes questions, où l’indépendance de l’état, la liberté des citoyens et le rôle de l’église se trouvent en jeu.


I

Ainsi qu’on l’a vu précédemment, le concordat de 1855 avait abandonné, conformément aux décisions du concile de Trente[1], tout ce qui concerne le mariage à la juridiction de l’église et des tribunaux ecclésiastiques. C’était livrer au clergé le fondement de la vie civile et porter une grave atteinte à la liberté de conscience. Le ministère cisleithanien, sans doute pour éviter les résistances de la cour impériale, n’osa pas faire du mariage un contrat civil que constatent les autorités civiles, et qui n’exclut pas la

  1. Si quis dixerit causas matrimoniales non spectare ad judices ecclesiasticos, anathema sit. Si quelqu’un prétend que les causes matrimoniales ne sont pas de la compétence des juges ecclésiastiques, qu’il soit anathème.