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des biens ecclésiastiques, si ceux-ci ne servent plus à couvrir les frais d’un grand service d’intérêt général. Les discussions des assemblées de la révolution française me paraissent avoir établi ce point avec tant de force, que l’esprit de secte peut seul encore le méconnaître. Les biens ecclésiastiques ne sont pas la propriété individuelle des ministres du culte qui en jouissent personnellement ils n’y ont aucun droit. Ils appartiennent à un corps moral qui ne les possède qu’en vertu d’un privilège que l’état concède. Si l’état enlevait la personnification civile aux cultes, ces corporations fictives cesseraient d’être, et leur domaine, n’ayant plus de maître, retournerait nécessairement à l’état, il faut tout l’empire des idées religieuses, invoquées à tort, pour obscurcir des notions si simples. En Suède, les militaires de l’indelta, au lieu d’être rétribués par le budget, vivent du revenu de terres affectées à leur entretien. Peut-on soutenir que ces terres appartiennent à l’armée, et que la nation suédoise ne pourrait en disposer, sauf à rétribuer les troupes d’une autre façon ? En Autriche, la situation du clergé est semblable à celle de l’armée suédoise ; il vit aussi du produit d’un domaine foncier. La nation aurait également le droit d’en faire un autre emploi et de pourvoir d’une autre façon à l’entretien des ministres du culte. C’est ce qu’ont fait presque tous tes pays de l’Europe : l’Autriche la première sous l’impératrice Marie-Thérèse et Joseph II, la France ensuite, l’Espagne, l’Italie, la Roumanie récemment Le parlement anglais discute en ce moment même une mesure du même genre, et les catholiques n’ont pas été les derniers à applaudir M. Gladstone quand il a proposé l’incamération des biens de l’église établie en Irlande. Comment ce qui est légitime au-delà de la Manche cesserait-il de l’être aux bords du Danube ? Je crois donc que les hommes impartiaux seront disposés à reconnaître le droit de l’Autriche de mettre la main sur les biens ecclésiastiques ; mais est-il bon qu’il soit fait usage de ce droit ? C’est ici que le doute commence, car on se trouve en présence de l’une des questions les moins éclaircies de notre temps. Tocqueville a émis à ce sujet une opinion qui mérite d’être mûrement pesée. Il est évident qu’un clergé salarié sera moins indépendant qu’on clergé propriétaire ; il dépendra de l’état qui le rétribue et du pape qui l’institue. Le prêtre catholique, n’ayant point de famille, vit déjà en dehors de la société civile ; s’il n’a point de propriété foncière, rien ne l’intéresse plus au pays qu’il habite. Tous les liens qui peuvent l’attacher au sol étant coupés, il n’a plus qu’une patrie, Rome, qu’un souverain, le pape, qu’un intérêt, la domination de l’église. Quoi qu’on fasse, l’action du clergé sur le peuple demeurera, au moins pendant longtemps encore, très grande. En lui enlevant ses biens, on ne ruine pas son influence, souvent même on l’augmente. Il faut donc se