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En Autriche, certains couvens, certains évêchés, ont évidemment de trop grands revenus. Ces riches prébendes entraînent ceux qui en jouissent à mener un genre de vie peu en rapport avec les enseignemens et les exemples du Christ. L’état aurait donc raison de mettre la main sur ce qui ne sert qu’à entretenir le luxe épiscopal et de l’employer, comme le voulait Joseph II, à doter l’enseignement, surtout à fonder des écoles normales. Cela fait, il pourrait renoncer à toute ingérence dans la nomination des évêques et dans l’administration des biens ecclésiastiques. La personnification civile serait accordée, non à l’église ou aux églises en général, mais à chaque groupe paroissial de fidèles, dont le droit de posséder serait soumis aux mêmes règles et aux mêmes limites que celui des sociétés anonymes. La solution que j’indique ici soulèverait, je ne l’ignore pas, de sérieuses difficultés quand il s’agirait de la formuler en projet de loi ; mais, si les habiles légistes du Reichsrath arrivaient à les résoudre et à réaliser pour la première fois sur le continent européen la séparation effective de l’église et de l’état, le service rendu à tous les pays qui poursuivent cette importante réforme vaudrait à l’Autriche une profonde gratitude. Dans l’empire-royaume, où le clergé possède encore des biens qui assurent le service religieux, il serait plus facile d’introduire la séparation que là où la suppression des allocations du budget enlèverait aux prêtres, momentanément du moins, tout moyen d’existence. La mesure n’aurait point cette apparence de persécution ou de rigueur qu’elle prendrait peut-être ailleurs aux yeux d’une grande partie des populations. Il ne serait même pas impossible qu’elle fut acceptée par les églises elles-mêmes, qui acquerraient ainsi une autonomie complète au prix du sacrifice de leur superflu, destiné à améliorer et à répandre l’instruction. Il est urgent pour l’Autriche, plus urgent que pour les autres états catholiques, de mettre fin à ces luttes confessionnelles qui l’agitent et la minent. Entées sur les antagonismes des nationalités, elles pourraient menacer l’existence même de l’empire, si ces rivalités de races venaient à reprendre leur caractère aigu. C’est un motif pour ne point reculer devant les solutions radicales. Ce ne serait point pour l’Autriche un médiocre titre de gloire si, après avoir fourni le modèle d’un état fédéral, où l’excellence du gouvernement et les bienfaits du régime constitutionnel retiendraient ensemble dans un faisceau unique des races diverses trop longtemps hostiles, elle arrivait à incarner en des lois pratiques la fameuse formule : l’église libre dans l’état libre.


EMILE DE LAVELEYE.