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irréprochables ; mais on se demande si l’artiste possède assez la nature vivante. Quand on se reporte à la grande gouache du Christ mort qu’il a exposée sous le vestibule, on se confirme dans l’idée que le dessin est son côté faible ; il lui reste beaucoup à apprendre en tête-à-tête avec le nu.

M. Adolphe Leleux, qui expiait dans un injuste oubli le tort d’avoir été trop tôt célèbre, se relève brillamment par deux portraits. La face d’homme est excellente de tout point ; peut-être a-t-il un peu exagéré dans son portrait de femme le moelleux et le flou de cette jolie tête poudrée avant l’âge par un caprice de la nature. M. Chaplin n’a jamais été plus riant et plus frais que cette année. Mlle Cécile Ferrère a un Prince des Asturies très vivant, et une Dormeuse que M. Chaplin pourrait signer sans se compromettre. Je ne sais si la Femme arrangeant des fleurs est un portrait ; si oui, il faudra le compter parmi les meilleurs de M. Pérignon. La couleur en est un peu triste, mais quel goût dans tout l’arrangement ! La Comtesse ***, par M. Léon Glaize, serait un excellent morceau, si cette peinture claire et lumineuse avait un peu plus de relief. M. Lemonnier, un nouveau-venu, si je ne me trompe, débute par un excellent portrait d’homme, et M. Quesnet révèle un certain sentiment du grand dessin. Le premier est élève de M. Vetter et le second de M. Lamothe. C’est l’enseignement de M. Léon Cogniet qui semble avoir produit la plus abondante récolte de jeunes talens. L’abbé Rogerson, de M. Gaillard, et sa tête de femme, traitée dans un style qui rappelle un peu les primitifs, le portrait jaune de M. Piot, le portrait rouge de M. Cot, les deux têtes d’homme de Mme Félicie Schneider, qui ne dépareraient nullement l’œuvre de son vénéré maître, — voilà les fruits nouveaux et excellens d’une méthode que l’officiel exile de ses écoles. Mlle Nélie Jacquemart, qui s’était fait connaître l’an dernier par un bien beau portrait de jeune fille, vient d’affirmer sa réputation et sans doute de décider sa fortune. Son ministre de l’instruction publique attire et retient l’attention par une abondance de vie, un éclat de ressemblance, un luxe de physionomie. C’est bien l’homme : charpente solide et franchement plébéienne, muscles de lutteur, esprit actif jusqu’à l’inquiétude, âme tendre jusqu’à la faiblesse. Si le dessin de Mlle Jacquemart n’a rien de magistral, son intelligence du modèle est digne de tous les éloges. La jeune artiste a d’ailleurs la palette heureuse ; sa peinture est fraîche, riante et d’un ragoût exquis.


V

Le seul dénombrement des tableaux de genre qui s’exposent chaque année formerait un volume de deux à trois cents pages. Il