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de ses actes, ne peut plus être qu’un agent bienfaisant ou malfaisant, dont on peut bénir ou maudire les œuvres comme on bénit ou on maudit les effets des puissances naturelles. M. Littré conserve le mot de moralité, comme il conserve le mot d’éducation, mais en leur assignant un sens tout particulier. La moralité, pour lui, se mesure au degré de bienfaisance ou de malfaisance de l’agent. C’est une chose purement esthétique, comme la beauté, ou purement naturelle, comme la bonté des choses physiques. À ce sujet, M. Littré cite des vers de Schiller sur la beauté, don de la nature, tant admirée et aimée des êtres humains. La vertu aussi est un don de la nature, non le prix d’un effort. M. Littré sait pourtant gré à l’homme de sa laborieuse destinée, oubliant que ce labeur dont l’homme souffre n’est que le travail forcé d’une machine qui serait douée de sensibilité. Quant à l’éducation, M. Littré montre fort bien qu’elle est toujours possible dans sa doctrine, mais en changeant de caractère et de méthode. Si l’on ne peut plus agir directement sur la volonté, qui n’est jamais libre, on peut développer et perfectionner l’intelligence, de manière que la volonté ne puisse se déterminer que par cette espèce de motifs qui ont pour conséquence des actions utiles. C’est encore là, nous le reconnaissons, une méthode excellente d’éducation, bien que fort incomplète.

M. Littré est un esprit rigoureux et systématique qui suit son principe jusqu’au bout. Au fond, sa doctrine est le sentiment de bien des médecins de tous les temps et de tous les pays. Beaucoup ont leur définition particulière du vice et du crime qui n’a rien de commun avec celle des moralistes et des magistrats ; ils font de l’homme vicieux ou criminel un malade qu’il s’agit non de punir, mais de guérir, et auquel il y a lieu d’appliquer tout un système de thérapeutique physique et morale. Beaucoup ont pour méthode de caractériser tel ou tel état psychologique, comme la folie, l’exaltation mystique, l’enthousiasme, le génie lui-même, par les moindres symptômes pathologiques apparens. Des médecins aliénistes n’hésitent point à confondre Pascal et Socrate dans la catégorie des aliénés, l’un pour son démon, l’autre pour son amulette. L’enthousiasme d’une Jeanne Darc, l’extase d’une sainte Thérèse, sont attribués par eux à une disposition hystérique. Le génie lui-même, cet état supérieur de la nature humaine, n’échappe point aux formules outrées d’une certaine analyse physiologique. M. Moreau de Tours, le définit une névrose. « Eh quoi ! le génie, c’est-à-dire la plus haute expression, le nec plus ultra de l’activité intellectuelle, n’être qu’une névrose ? Pourquoi non ?… Nous ne faisons qu’exprimer un fait de pure physiologie, » Et ailleurs : « A une foule d’égards, tracer l’histoire physiologique des idiots serait tracer celle de la