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dénonciateur ou un des juges prévaricateurs qui m’ont condamné. » C’eût été justifier en quelque sorte sa condamnation et douter de sa cause jusqu’à la renier ; or, à ses yeux comme aux yeux des vrais catholiques, sa cause, c’était celle de Dieu.

VII.

Nicée, où Chrysostome arriva dans les derniers jours de juin, lui procura un repos nécessaire après tant de fatigues. Les brises rafraîchissantes du lac Ascanius calmèrent peu à peu les ardeurs de la fièvre qui le dévorait : cette grande ville lui offrait d’ailleurs tous les moyens de médication désirables, les bains surtout, qui étaient devenus son premier besoin. « L’air de Nicée m’a remis, » écrivait-il lui-même. S’il y retrouva la santé, il n’y rencontra pas ce qu’il désirait à l’égal de la santé, des lettres de ses meilleurs amis, du prêtre Tigrius par exemple, et surtout d’Olympias, sa religieuse fille et sa dame bien-aimée, comme il l’appelle, cette douce confidente de ses maux, grâce à qui nous connaissons non-seulement les actions, mais les plus intimes pensées de l’exilé entre son départ de Constantinople et sa mort. Cette absence de lettres le contraria ; il ne nous le cache pas. Tantôt il accusait ses amis d’indifférence ou du moins d’une négligence cruelle, tantôt il se figurait qu’ils étaient malades ou enveloppés dans sa disgrâce ; mais il n’osait aborder la triste vérité. Il en voulait principalement à Olympias, à moins qu’elle ne fût mourante, auquel cas il lui pardonnait trop. Nous aurons à parler souvent dans la suite de ces récits de l’amitié qui unissait Chrysostome et Olympias ; jamais plus vive et plus touchante affection n’exista entre deux êtres rapprochés seulement par un lien spirituel. C’était une âme en deux corps, ou plutôt c’étaient deux âmes semblables subordonnées l’une à l’autre. Je me sers ici des formules mêmes du grand moraliste lorsque, dans ses écrits, il veut caractériser les amitiés chrétiennes. La première, celle d’Olympias, était tendre et dévouée à l’excès : forte jusqu’à l’héroïsme en face de ses propres maux, faible jusqu’au plus pusillanime abattement devant ceux de l’homme qui était pour elle un ami, un père, un guide céleste, presque un dieu. La seconde, celle de Chrysostome, énergique et dominatrice, soutenait l’autre dans ses défaillances, comme une plante délicate qui a besoin de redressement et de support. Le gouvernement de cette âme vouée à la sienne était pour Chrysostome un de ses plus chers et de ses plus impérieux devoirs. Nous le verrons aux plus mauvais jours de son exil consacrer une partie des loisirs que lui laisse la captivité à combattre dans son amie, par de tendres exhortations et souvent