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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


et qui, n’osant pas venir condamner Jean ouvertement par crainte du peuple, avait mandé à la cour qu’il souscrivait d’avance à tout ce qu’on déciderait contre lui. Non moins méchant que Leontius, Pharetrius était de plus hypocrite et peureux, capable de toute espèce de crime, pourvu qu’il le commît dans l’ombre et avec sécurité ; le premier avait l’audace du brigand, celui-ci la lâcheté de l’empoisonneur. L’itinéraire qui faisait passer l’exilé par Césarée pour le conduire à Gueuse le contrariait vivement, et le jeta dans une grande perplexité, car enfin, s’il le traitait mal, il ne répondait pas au sentiment de son clergé, presque tout entier joannite, et démentait la comédie de commisération que lui-même avait jouée depuis le décret de bannissement ; s’il le traitait bien, il s’exposait aux vengeances de l’impératrice et perdait le mérite de sa lâcheté. Il louvoyait donc, attendant quelque événement qui le tirât de peine et le débarrassât de cet hôte incommode.

Il ne se trouva point à la porte de la ville, quoiqu’il se fût fait annoncer, et ne fit point proposer à Chrysostome de descendre au palais épiscopal. Celui-ci, comprenant ce qu’une telle conduite signifiait, accepta un logement qu’on lui proposa à l’extrémité même de Césarée. Une nombreuse assistance composée d’habitans distingués de la ville, magistrats, bourgeois, savans et moines, l’y avait précédé pour le saluer ; le clergé métropolitain semblait s’y trouver au complet, moins l’évêque. Chrysostome, exténué de fatigue, brûlé par la fièvre, avait moins besoin de complimens que de repos et de visiteurs que de médecins ; il en demanda un. Il y en avait deux dans la compagnie ; ils s’empressèrent près de lui, l’entourèrent des soins les plus attentifs, se montrèrent, en un mot, à son égard des cœurs secourables et affectionnés. Un d’eux insista même pour l’accompagner jusqu’à Cucuse. Ces honnêtes gens se nommaient Hymnetius et Theodorus. « Leur douce compassion, nous dit-il, lui fit autant de bien que leurs remèdes. »

Il commença donc à respirer un peu, et il est curieux de voir dans ses épanchemens d’amitié avec quelle joie d’enfant il compare les souffrances éprouvées tout le long de la route au calme dont il ressent les premières douceurs. « Non, s’écrie-t-il dans une lettre à Theodora avec moins de ménagement sans doute qu’il n’en eût mis avec Olympias, non, les prisonniers dans leurs cachots et les forçats dans leurs mines ne souffrent pas ce que j’ai souffert dans ce voyage et ce que je souffre encore par intervalles. Dévoré par une fièvre continue et obligé pourtant de voyager jour et nuit, tour à tour accablé par la chaleur et consumé par le besoin de sommeil, je n’avais personne pour me venir en aide dans mon dénûment de toutes choses. Enfin je suis à Césarée comme le nautonier dans le