Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/863

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
855
CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


monde en cas de péril. L’intendant offrit à Chrysostome de l’y loger : celui-ci refusa, se croyant parfaitement en sûreté dans la maison de plaisance, d’après les paroles mêmes de Séleucie ; mais la maîtresse était revenue, ne montrant plus la même sécurité, car, à l’insu de ses hôtes, elle recommanda à l’intendant de faire armer ses serviteurs et les colons de ses autres villas pour repousser une attaque possible des moines pendant la nuit. L’intendant fit ce qu’elle lui ordonnait et n’en dit rien à Chrysostome. Or voici ce qui était advenu dans l’intervalle. Séleucie rentrait à peine à Césarée que Pharetrius, informé de ce qu’elle avait fait, la manda près de lui pour lui adresser des reproches et l’obliger par de graves menaces à mettre dehors à l’instant l’hôte qu’elle avait reçu sous son toit. La dame se récria contre une pareille injonction, sortit indignée, et courut à la villa prendre les mesures dont nous avons parlé ; mais l’évêque la demanda de nouveau avec instance et elle revint. On ignore ce qui se passa dans cette seconde entrevue, et si Pharetrius ne fit pas craindre à cette femme de se trouver compromise dans un complot contre l’impératrice et l’empereur ; le fait est qu’elle le quitta épouvantée et résolue enfin à obéir. On était arrivé à la seconde moitié de la nuit, et Chrysostome commençait à goûter un peu de repos, lorsqu’un prêtre nommé Evethius, qui l’avait suivi depuis Césarée, entra précipitamment dans sa chambre, et le réveillant en sursaut : « Lève-toi, lui dit-il, lève-toi, je t’en conjure, les Isaures sont là ! » Et avant que Chrysostome eût eu le temps de reprendre ses sens et de l’interroger, Evethius enleva tous les effets de l’exilé et l’entraîna dehors. L’escorte était déjà sur pied, et le mulet attelé à la litière ; personne d’ailleurs n’était là pour prêter assistance ; la maison de Séleucie se trouvait dans un désarroi complet ; on n’y parlait que des Isaures ; les uns s’armaient, les autres se cachaient ; l’escorte était abandonnée à elle-même, elle se procura un guide comme elle put.

C’était une nuit sans lune et d’une obscurité tellement épaisse qu’on ne distinguait rien à quelques pas de soi. Chrysostome fit allumer les torches ; Evethius accourut les éteindre, disant qu’elles serviraient de fanal aux brigands. Sous l’empire des mêmes frayeurs, le guide chargé de les conduire prit, à ce qu’il paraît, un chemin détourné qui rejoignait plus tard la grande route, mais n’était qu’un sentier raboteux, taillé dans le roc et embarrassé de pierres roulantes ; on n’y avançait qu’à tâtons. Le mulet qui portait la litière fit un faux pas et tomba sur les genoux ; la secousse lança Chrysostome hors de la litière et l’envoya sur un des côtés de la voie, étendu tout de son long et sans mouvement. Evethius, sautant à bas de son cheval, vint le relever et le crut mort. Chry-