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Cette suite d’ententes n’est pas facile à obtenir ; il faut fixer quelle sera la base de l’accord, du règlement à la journée ou du règlement à la tâche, et, quand c’est la journée, qui prévaut, le nombre d’heures selon les saisons. Parfois la fantaisie s’en mêle ; ceux-ci demanderont un minimum d’heures ou un minimum de prix, ceux-là une réduction dans le nombre des apprentis ou bien l’octroi d’un domaine réservé pour la matière brute et pour les hommes qui l’exploitent. Le calcul déterminant est de gagner le plus possible en travaillant le moins possible. Dans presque tous les cas, un excès de prétentions s’ajoute à un certain fonds d’injustice, voici lequel : un comité d’ouvriers qui mène une grève stipule pour la masse qu’il représente ; sa tâche est remplie quand il a demandé et arraché aux entrepreneurs un salaire moyen pour un travail courant, produit d’une habileté ordinaire. Il lui serait impossible de mesurer le degré de rétribution sur le degré des aptitudes individuelles ; des travaux inégaux en valeur passent donc tous sous le même niveau, ce qui est d’une injustice évidente. Ni le prix à l’heure ni le prix à la tâche n’en modifient les termes. Il reste toujours en stricte équité, un compte à faire pour l’élite ; si l’élite se soumet au tarif commun, elle est lésée. Aussi les ouvriers capables s’éloignent-ils des unions ou n’y restent-ils. qu’en se ménageant des conditions particulières, heureux quand on ne les force pas dans ce retranchement. On connaît les exécutions de Sheffield, on vient de lire le récit des avanies de Genève ; les unions du bâtiment ont eu des prouesses analogues, citées dans l’enquête anglaise, notamment le fait des briquetiers, réduits à merci par une indignité sans nom ; on bourrait d’aiguilles la terre, qu’ils avaient à pétrir.. Ce sont là des actes de guerre, et les grèves n’en comportent pas d’autres : tout moyen est bon pour la dictature collective ; il n’y a plus ni droit ni sécurité pour l’individu.

Que donnent en retour à l’ouvrier ces grèves poussées jusqu’aux sévices ? Où en est la vertu, où en est le profit ? Le même document va nous le dire. Les unions du bâtiment n’ont pas joué de bonheur avec les suspensions de travail ; leurs mésaventures sont célèbres, entre autres celle de Liverpool en 1833. Après une résistance de six mois, il fallut céder ; les caisses étaient vides, la misère des ouvriers était au comble. Tout compte, fait, il y avait perte ou déficit de 72,000 livres sterling, (1,800,000 francs) sur les salaires et dépense effective de 18,000 livres sterling (450,000 francs). La consommation des briques était tombée de 1 million à 20,000 par semaine dans la ville de Liverpool seulement. Des mécomptes analogues marquèrent les grèves de Londres entre 1847 et 1859, avec le double objet de l’accroissement du salaire et de la diminution