Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/905

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rigoureuses qui, des ateliers de M. Thorneycroft, s’étaient étendues à presque toute l’Angleterre. L’unité du salaire était la tonne de fer puddlé, martelé ou laminé, et ce salaire était réglé lui-même sur le prix de la vente du fer au moyen d’une échelle mobile. Sur tout accroissement du prix de vente, les puddleurs avaient à prélever 5 pour 100, les marteleurs, les lamineurs et les autres manœuvres 10 pour 100 ; les prix de vente tombaient-ils, les salaires décroissaient dans les mêmes proportions. Ce contrat n’avait d’autre écueil qu’une révolution dans les instrumens ; c’est ce qui est arrivé par la force des choses et pour les besoins des services ; successivement on a vu naître le marteau-pilon, sans lequel on n’aurait pas pu forger les grands arbres de couche des machines de mer, les laminoirs gigantesques, les scies circulaires qui ont permis de découper les cuirasses des navires, enfin toute la série des machines-outils qui abrègent la besogne en la perfectionnant. À chacune de ces inventions correspondait un dérangement d’équilibre entre la quantité de matières soumises aux divers degrés d’achèvement et le nombre d’hommes nécessaire pour obtenir ces transformations successives. Les chiffres étaient incessamment à modifier, et bon gré mal gré il a fallu dans beaucoup de forges renoncer à l’échelle mobile. Tous les calculs qui reposent sur des procédés techniques sont alors devenus suspects au même titre ou tout au moins insuffisans. Comme contre-poids à ces fluctuations, ils manquaient d’une sanction de l’ordre moral.

Ici le volume de M. le comte de Paris quitte les voies battues et réfléchit l’état des esprits dans ce qu’il a de plus avancé. Des milliers d’interrogatoires publiés par la commission royale, l’auteur détache trois dépositions qui forment un contraste avec le ton uniforme du reste de l’enquête, la déposition de M. Kettle, juge de comté à Worcester, celle de M. Mundella, fabricant à Nottingham et membre du nouveau parlement, celle enfin de M. Briggs, propriétaire de houillères près de Normanton. Ce n’est plus le gros de l’armée industrielle, ce sont les hommes qui marchent en avant, les porteurs de torches dont parle le poète latin. L’occasion seule avait mis M. Kettle sur la voie de l’idée qu’il a convertie en fait. Six maîtres et six ouvriers du bâtiment s’étaient en 1864 réunis sous sa présidence pour vider un différend, puis mis d’accord sans qu’il eût même à les départager. De là lui vint le plan d’un conseil d’arbitres permanent qu’il composa de la même façon que celui dont il avait eu à s’applaudir, en ayant le soin de faire des membres de ce conseils de véritables fondés de pouvoirs au lieu de mandataires sujets à un désaveu. Les décisions étaient ainsi rendues exécutoires par les magistrats du comté. Ces précautions prises, le conseil,