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quand il faut payer une redevance, si petite qu’elle soit. Qui les a comptés, et à côté du compte où est le contrôle ? Acceptons pourtant le chiffre ; voilà les hommes, il s’agit maintenant de leur trouver un lien bien défini et un but commun qui puissent être un motif d’alarme. Vainement cherche-t-on ; déjà dans les unions le dissentiment se glisse entre les individus ; il empire d’union à union, et une entente entre toutes les unions est une idée trop extravagante pour s’y arrêter. Ainsi s’effacent, quand on s’en rapproche, les fantômes dont s’effraient les imaginations crédules. Là où l’on rêvait une force de cohésion redoutable, c’est l’éparpillement qui règne. Il en a toujours été ainsi. L’histoire du moyen âge est pleine de ces luttes de corps de métiers qui s’escrimaient entre eux bien plus souvent qu’ils ne se prenaient à d’autres adversaires ; d’autre part, les champions du compagnonnage couraient le pays en se livrant bataille, et pour des formules puériles inondaient de sang les chaussées des grands chemins. Les hommes sont toujours les mêmes, et dans la civilisation la plus adoucie les motifs spécieux ou fondés ne leur manquent pas pour se désunir et se combattre. Les plus beaux prêches n’y peuvent rien ; c’est moins affaire de raison que d’instincts, tantôt la jalousie, tantôt des intérêts opposés ou parallèles, et peut-être entre-t-il dans un plan supérieur qu’il en soit ainsi pour que les diverses fractions de la communauté se fassent naturellement équilibre. Autrement on verserait toujours du même côté. Si les corps de métiers étaient bien soudés entre eux et unis à leurs divers degrés, à l’instant l’indépendance individuelle courrait de grands risques, ou tout au moins ne s’exercerait qu’à titre onéreux. De toutes les servitudes, ce serait la pire, et c’est probablement pour nous en épargner le fardeau que la Providence a livré le monde aux disputes.

Si une entente de ce genre était jamais possible, ce serait à coup sûr pour l’objet que M. le comte de Paris a compris dans sa vigoureuse étude, la hausse des salaires. C’est le cri de guerre le mieux approprié à une croisade des intérêts, et les émissaires qui l’ont poussé à tous les points de l’horizon en connaissaient la vertu. Les ouvriers peuvent être partagés sur toute autre matière, ils sont d’accord sur celle-là. Immanquablement ils reviendront à la charge ; leur prétention est d’y rester les maîtres. Peut-être réduiront-ils par lassitude quelques patrons découragés ; mais alors la revanche commencera, ils sauront bientôt comment s’expient ces violences. L’obstacle qui ne viendra plus des hommes, ils le trouveront dans la force des choses, et, quel que soit leur nombre, ils s’y briseront. Voici plus de trente ans, qu’on s’évertue à leur dire qu’à part eux rien ne compte en industrie, que le patron est un rouage inutile, le capital