Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/912

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un en France, l’autre en Allemagne, et qui, consacrés tous deux à l’étude philosophique de la religion dans l’histoire et dans l’âme individuelle, dénotent, chacun à sa manière et malgré la différence des conclusions, la direction convergente que les meilleurs esprits semblent suivre dans l’élucidation du grand mystère. Avant de concentrer notre attention sur ces deux livres, il est indispensable de résumer la situation qui les a inspirés l’un et l’autre.


I

On pourrait diviser l’histoire des rapports de la religion et de la philosophie durant notre siècle en trois périodes qui rentrent un peu les unes dans les autres, mais que toutefois on peut distinguer assez nettement. Dans la première, il semble qu’une paix éternelle va être conclue entre la philosophie et la religion sur la base d’une réaction commune contre le XVIIIe siècle. C’est la période où le romantisme se déclare catholique, où Schelling et Hegel découvrent leur philosophie sous les formules de l’orthodoxie chrétienne, où Schleiermacher restaure le dogme en éliminant prudemment tout ce qui ne peut plus se soutenir, mais en utilisant avec une merveilleuse dextérité dialectique ceux des élémens de l’ancienne orthodoxie qui disent encore quelque chose à ce sentiment religieux dont il a fait ressortir avec tant de vigueur la puissance et la spontanéité. Chez nous, vers le même temps, M. Cousin enseigne que la religion et la philosophie ne diffèrent que par la forme, que le fond est identique. Telle est aussi la pensée qui préside aux tentatives officielles ou individuelles ayant pour but de concilier l’enseignement philosophique et la doctrine traditionnelle. Ce désir de conclure la paix entre deux puissances naguère si hostiles est réel chez la majorité des esprits sérieux qui savent et qui pensent ; pourtant on peut affirmer qu’ils y mettent plus de bonne volonté que de logique. A côté d’eux, il est quelques esprits plus difficiles qui ne croient pas à la possibilité d’une paix solide. Le catholicisme par ses organes attitrés, l’orthodoxie protestante par la voix de ses docteurs en renom, repoussent avec une dédaigneuse raideur la main qui leur est tendue ; mais, à prendre les choses en grand, à voir les hommes qui déterminent avec le plus d’autorité la direction des idées dans l’Europe intelligente et instruite, cette tendance à l’union de la pensée philosophique et de la tradition religieuse est assez générale, assez brillamment représentée pour caractériser la période qui commence à la restauration pour finir en Allemagne à la mort de Schleiermacher, en France avec le règne de Louis-Philippe.