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En tout cas, il exige, et son exigence n’a rien que d’acceptable, qu’aux lumières de l’histoire le penseur joigne celles de la psychologie, qu’il contrôle les données de la critique par celles du sens intime, à peu près comme le physicien joint à l’observation qui lui apprend à connaître les faits l’expérience qui lui permet d’en sonder la nature cachée. C’est alors qu’au nom d’une minutieuse analyse des facultés humaines, des lois qui président au développement de l’esprit, du sentiment religieux proprement dit, M. Vacherot prédit que la religion, nécessaire à son heure, d’une durée dont il serait imprudent de fixer le terme, représente pourtant un état transitoire destiné à être remplacé par l’état philosophique. La fin du livre est consacrée à d’ingénieuses considérations sur le passé, le présent, l’avenir des religions, surtout du christianisme, et à une verte revendication des droits de la pensée libre à l’encontre des accusations, des calomnies, des hautaines menaces lancées par les clergés réactionnaires.

Tel est, très imparfaitement résumé, ce livre qui comptera certainement parmi les pièces importantes du dossier théologique de notre âge. Il contient des fragmens nombreux, étendus, dont la lecture est on ne petit plus attachante. Rangeons dans ce nombre le tableau que M. Vacherot nous trace lui-même de son histoire religieuse personnelle. On sent en le lisant qu’il lui en a coûté de parler ainsi de lui-même. Cependant il a eu raison de le faire, et rien de plus instructif pour nous que cette confession, cette histoire religieuse d’une âme d’élite qui, selon nous, n’a pas un instant cessé de chercher Dieu. Bien qu’élevé dans la doctrine et les pratiques du catholicisme, M. Vacherot ne connut pas, comme Jouffroy par exemple, les douceurs mystiques d’une enfance dominée tout entière par le charme de la ferveur. Aussi ne connut-il pas non plus les déchiremens tragiques de ceux qui se voient amenés, au sortir de la jeunesse, à opter entre les évidences de la raison et les sommations de l’autorité surnaturelle. L’extraordinaire, l’extra-naturel des Contes de Perrault, plus tard de l’Iliade, eurent plus de prise sur sa jeune imagination que les merveilles de la légende sacrée. La Bible eut peu d’effet sur lui, et il l’aime mieux aujourd’hui qu’il ne l’aimait aux jours de son adolescence. Cependant son enfance fut sincèrement catholique. Il rêva, comme tant d’autres, Il le ciel avec ses chants éternels et ses anges resplendissans de lumière, ses chérubins et ses séraphins, son enfer avec ses affreux supplices et ses noirs démons, le doux enfant Jésus, la bienheureuse mère du Sauveur, la tendre madone. » Et même, quoiqu’il ne pût assister sans ennui ou sans distraction aux cérémonies de l’église, il eut un moment de foi joyeuse et fervente : ce fut l’instant où il eut