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une justesse irréprochable. On nous dit que cette suprématie de l’intelligence est un signe de maturité. Je dirais plutôt que la maturité de l’âge a tout à la fois pour qualité et pour défaut d’être un âge intellectuel avant tout. L’idéal, à mon sens, serait que l’homme pût garder, tout en atteignant cette puissance intellectuelle que l’âge seul lui procure, cette vivacité, cette chaleur d’impressions qui est l’apanage de la jeunesse, son danger, mais aussi sa grande prérogative. En d’autres termes, si chaque période de la vie se distingue par la prédominance d’une faculté de l’esprit, la conquête de la vérité exige le concoure harmonique de toutes les facultés humaines. Il est bien des choses qui, pour être comprises doivent être fortement senties. La jeunesse court le risque d’être la dupe de son imagination ; mais que l’âge mûr prenne garde de l’être de son rationalisme, car ce rationalisme le rend oublieux, ou négligent de plus d’un fait qu’il ne sent plus assez vivement pour en tenir le compte légitime. Il y a bien du vrai dans le reproche que M. Vacherot adresse à l’école historique d’avoir trop négligé l’observation psychologique. Il faut reconnaître avec lui que les deux ordres d’études doivent être poursuivis parallèlement pour s’éclairer l’un par l’autre ; mais il ne niera pas non plus l’inconvénient fatal de l’observation psychologique et la source principale de ses erreurs. C’est qu’en fait l’observateur en est réduit à s’observer lui-même. Sa constitution morale particulière lui fait l’effet d’être la constitution humaine. Les côtés faibles ou peu développés de son être intérieur lui échappent, au moins en partie. C’est seulement à force d’intelligence qu’il parvient à reconnaître la valeur propre du sentiment ; et il ne la comprend encore qu’à demi. On peut ainsi parler avec respect, avec sympathie même, du mysticisme ; on ne peut l’expérimenter en soi-même. Il suffit, par exemple, de lire l’autobiographie religieuse de l’éminent penseur, qui nous pardonnera bien aisément cette légère critique, pour s’assurer que le sentiment mystique n’a jamais fleuri dans son âme. C’est l’intelligence qui a toujours commandé chez lui en souveraine. C’est elle qui l’a mené du merveilleux enfantin au merveilleux classique, c’est elle, elle seule, qui a fait de lui pour un instant un chrétien croyant. En présence des réalités religieuses, il a connu l’admiration plutôt que l’adhésion du cœur, et ce n’est pas trop s’avancer que de dire que sur ce terrain la matière première de l’observation psychologique lui a jusqu’à un certain point fait défaut.

Qu’on ne croie pas au moins que nous allions nous poser en champion du mysticisme contre les exigences d’une raison éclairée : ce serait contraire à toutes nos préférences, à toutes nos convictions ; mais quand on parle de religion, autre chose est de se placer