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Butuan, que je m’empressai de parcourir le lendemain matin, est un pauvre village dont la population, qui ne dépasse pas 2,000 âmes, vit de la récolte du sagou, qu’on extrait d’un palmier fort abondant dans les environs, et d’un miel parfumé recueilli dans les troncs des arbres et les creux des rochers. Toute l’industrie locale consiste dans l’exploitation d’une mine d’or voisine du village et dans la vente du tripang, sorte de grosse sangsue marine fort abondante sur les côtes. Desséché au soleil, le tripang est acheté par les commerçans chinois, et figure avec avantage sur les tables des hauts mandarins de Canton et de Pékin. On y trouve encore le nid d’hirondelle ou salangane, mets fort apprécié, comme chacun sait, par les habitans du Céleste-Empire. Ce plat singulier coûte dans le pays 100 francs le cate ou les deux kilogrammes. L’oiseau qui le produit ressemble à l’hirondelle d’Europe ; mais il est plus petit. Il bâtit son nid dans le creux de falaises escarpées. Le nid, très blanc, très apprécié lorsqu’il est exempt de plumes, a l’aspect d’un tissu d’albâtre à larges mailles ; d’après les indigènes, la néossine, ou matière dont il se compose, est enlevée par la salangane à un coquillage qu’elle trouve sur les plages. Lavé, grillé, préparé par un bon cuisinier de Canton, je lui ai trouvé un goût fade, mais point désagréable.

Les habitans de Butuan, ne pouvant se livrer à l’agriculture dans la crainte de voir leurs moissons pillées par les Moros, se proposaient, lors de mon passage, de transporter leurs pénates à l’embouchure de l’Agusan, fleuve immense dont les rives sont peuplées par des tribus avec lesquelles ils ont l’espérance de faire des échanges, Pour ceux qui connaissent le Japon et les grandes bourgades de l’Océanie, le transport d’un village d’un point à un autre n’a rien d’extraordinaire. Chaque habitation est en bambou ; elle n’est couverte que par une toiture fort légère de feuilles de palmier ; tout l’édifice repose, comme dans les habitations lacustres, dont elles doivent se rapprocher beaucoup, sur quatre piliers en bois de teck, qui s’élèvent à 3 ou 4 mètres de terre. Huit hommes vigoureux peuvent la soulever aisément et la transporter à l’endroit où il leur convient de l’établir. Les habitations indiennes sont ainsi isolées du sol non-seulement à cause de l’humidité de la saison des pluies, mais en vue de les préserver de l’invasion des serpens. Malgré cette précaution, il n’est pas rare d’en trouver le matin dans le lit même où l’on est couché, si le domestique chargé de fermer le moustiquaire ne l’a point fait avec soin. Les indigènes, considérant la présence d’une ou plusieurs couleuvres dans leur maison comme l’indice certain d’une fortune prochaine, se gardent bien de les détruire. D’ailleurs ces culebras caseras, couleuvres domestiques, sont tout à fait inoffensives, et même font une chasse très utile aux