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mais à un mètre plus bas, on voyait la bannière du sultan. C’était là que ce dernier nous attendait avec ses ministres, sa cour et ses soldats. Quelques tentures de soie, un portrait de la reine d’Espagne placé au-dessus d’un fauteuil, le trône sans doute, complétaient l’ameublement. Le sultan ne portait aucune arme, sa tête était nue, un justaucorps et des pantalons en drap d’argent composaient toute sa parure. Son type de pure origine malaise n’avait rien de cruel. Par contre, ceux qui l’entouraient semblaient éviter nos regards, et la haine se lisait sur leurs physionomies. Leurs costumes se composaient aussi d’un justaucorps de soie avec des pantalons très larges de même étoffe. Leurs doigts étaient surchargés de bagues ; des colliers de perles d’un orient magnifique, — on pêche à Soulou les plus belles perles du monde, — ornaient les turbans des chefs et des princes de sang paduca. Les armes étaient splendides, et je ne me lassais pas d’admirer plusieurs krishs richement damasquinés dont les poignées d’ébène étincelaient d’incrustations d’or et d’argent. On nous plaça sur l’estrade occupée par le sultan, les ministres et les datos. Ces derniers, au nombre de quinze, forment une sorte d’oligarchie féodale à laquelle doit céder fréquemment la volonté du sultan. Il y a trois ministres, pour l’intérieur, la guerre et les finances. Dans un état oligarchique comme celui de Soulou, les ministères de la justice et des affaires étrangères n’ont point de raison d’être. En ne les créant pas, le sultan a fait preuve de logique et d’économie bien entendue. Le gouverneur espagnol, après avoir exprimé au jeune sultan Mojamed le regret d’avoir été dans l’obligation d’interrompre le cours d’un deuil sévère, lui fit connaître en peu de mots la volonté de l’Espagne. En échange d’une promesse formelle d’aider de toute son autorité à extirper la piraterie de l’archipel sur lequel il était appelé à régner, il recevait de la reine Isabelle II le titre de sultan de Soulou, Tavi-Tavi et Bornéo. L’Espagne lui assurait aussi l’appui de ses forces dans le cas où ses sujets mécontens auraient un jour la fantaisie de le détrôner. Cette partie du discours était à l’adresse de quelques chefs, ennemis déclarés des Espagnols et dont la richesse avait pour origine la piraterie. Mojamed promit d’une voix mal assurée tout ce qu’on lui demanda. Il fut proclamé sultan. L’escadre, à un signal donné, fit feu de toutes ses batteries ; mais la foule réunie autour du jeune souverain garda un silence morne et très significatif.

Pendant le cours de la cérémonie, j’avais cherché à découvrir les deux Dickson parmi les assistans. Le titre de dato porté par le père devait l’avoir autorisé à se placer près du trône, et je l’eus bientôt reconnu entre tous, grâce à ses cheveux rouges et à sa physionomie britannique. Vêtu d’un justaucorps et d’un pantalon de foulard