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seules ressources de la couleur tout le clavier des passions ? Cela tient, cette Revue en ferait foi, à de fortes études qui venaient s’ajouter à l’impression vive d’une âme singulièrement émue. Ce n’est point assez, quoi qu’ait dit un critique, de peindre « le bel animal humain. » Ni Rembrandt ni Delacroix n’ont peint précisément ce bel animal, et ils ont agité plus de sentimens que la plupart des artistes de leur époque. Nous ne voulons pas dire qu’il faille avoir embrassé la science tout entière, comme le firent Léonard, Giotto, Apelles, ni que les mathématiques, la physique et la chimie soient indispensables à un peintre ; nous n’entendons même point parler ici de certaines théories qu’il est bon de ne pas ignorer, comme celle des couleurs en physique formulée par M. Chevreul, que Delacroix connut, s’il ne la devina, et que les Vénitiens, orientaux d’origine, ont dû connaître, à en juger par la certitude scientifique qu’ils apportent dans les oppositions de couleurs. Les études précises que nous avons en vue sont celles qui élèvent et trempent l’esprit, le mettent en garde contre les défauts les plus redoutables, la banalité, l’uniformité. Jamais on n’a vu plus d’artistes rompus à la pratique de leur métier ; ce qui manque le plus à notre école en général, c’est la vigueur de conception, l’audace qui sied aux talens robustes. Cela tient à des causes dont l’organisation de l’École des Beaux-Arts est innocente, et à quelques-unes dont, malgré toute la bonne volonté qu’elle déploie, l’administration peut à bon droit passer pour responsable. Le tort de l’administration est de s’être habituée à tout régenter ; le tort des artistes est d’avoir fini par trouver cela naturel. L’art n’est pas une plante de serre chaude, recevant comme une rosée bienfaisante les faveurs du pouvoir. Il ne croît dans les serres que des plantes sans vigueur et sans rusticité. Les plus fortes ont besoin de grandir librement en pleine terre et en plein soleil. Ce qu’il faut pour que l’art fleurisse dans son plus bel épanouissement, ce n’est même pas de ménager à l’artiste des commencemens faciles et de doux chemins, l’art s’arrange peu de ces délicatesses. On peut le rapprocher du trône, comme on l’a dit, en le plaçant sous la main d’un administrateur ou d’un soldat ; on ne lui donnera point pour cela plus de sève.


II

Nous sommes serrés de près dans l’étude et l’enseignement supérieur des beaux-arts, et notamment de la peinture, par nos voisins de Belgique. A ne considérer que le nombre des artistes de talent produits chaque jour par ce pays de petite étendue et les sacrifices que l’état s’impose pour ne pas laisser dégénérer l’art des Flandres, pour accroître par des acquisitions nouvelles les musées et les