Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pérer qu’enfin viendra le jour où la voix des peuples slaves sera entendue dans le conseil de la couronne, comme la voix des peuples magyar et allemand. Je crois qu’une nation qui a la majorité dans l’empire, une nation sur laquelle est fondée la force matérielle et morale de l’empire, y a bien quelque droit. Si justice lui est refusée, jusqu’où s’emportera sa colère? En vérité, je l’ignore. Nous, Slaves de Bohême, nous ferons tous nos efforts pour sauver l’Autriche afin de nous sauver nous-mêmes; mais nous ne sommes pas les maîtres de l’opinion publique, nous ne pouvons pas commander aux sentimens outragés, nous ne pouvons pas non plus prévoir les résolutions de nos frères. Que les intéressés veuillent bien y réfléchir! »

Les paroles de M. Rieger rappelaient celles de M. Palaçky; c’étaient les avertissemens d’un sujet loyal, non les menaces d’un factieux. Au reste comment ne pas répéter les mêmes argumens dans une cause si simple et si claire? Sans s’être concertés, sans s’être seulement communiqué leurs impressions, tous les juges impartiaux eussent prononcé un verdict absolument semblable sur le dualisme austro-hongrois. En face de problèmes comme celui-là, il suffit d’ouvrir les yeux. Il y a quatorze ans, bien avant qu’il fût question du dualisme, ayant eu occasion d’étudier ici même la grande Histoire de Bohême, dont M. Palaçky venait de publier les premiers volumes, nous avions interrogé le caractère de l’historien national, et, frappé de son rôle au milieu des Tchèques, frappé des plaintes dont il était l’interprète si mesuré, nous écrivions ces paroles : « Chaque injustice exercée contre les Tchèques est une arme redoutable donnée à la propagande de l’esprit russe. Ce ne serait donc pas assez pour l’Autriche de s’allier plus résolument avec les puissances occidentales,... il faut que sa politique intérieure obéisse aux mêmes inspirations. — Remis en possession de leur existence nationale et associés à la civilisation de l’Occident, les Tchèques de Bohême ne seraient plus tentés de se confondre avec les fils de Rurik; au contraire le jour où tout espoir leur serait enlevé, le jour où la Russie seule leur apparaîtrait comme une puissance libératrice, ni l’autorité du gouvernement autrichien, ni les exhortations de M. Palaçky, ne pourraient opposer une digue au courant de l’opinion. » Dans cette séance de la diète de Prague du 13 avril 1867, l’orateur de la Bohême nous a fait l’honneur de citer ces paroles comme l’opinion d’un témoin désintéressé qui, examinant sans parti-pris la situation de l’Autriche, en tirait les conséquences nécessaires. Il ajoutait pourtant, et ce détail est bon à noter, que ces paroles n’étaient point les siennes, qu’il ne pouvait admettre cette rupture du royaume de Bohême avec la dynastie des