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ractère de Paul répugne à l’une comme à l’autre. Enfin M. Renan écrit qu’on se sépara content, que Pierre, Jacques et Jean approuvèrent complètement l’évangile que Paul prêchait aux gentils, qu’on lui donna hautement la main, qu’on admit son droit divin immédiat à l’apostolat. D’où vient donc alors la nuance d’ironie ou d’amertume mal déguisée avec laquelle Paul parle de ces « colonnes de l’église? » On se sépara avec des paroles d’union sur les lèvres et la jalousie au fond du cœur. Les mains se touchèrent. La politique et non la sympathie les avait rapprochées. On accepta, on subit l’évangile de Paul sans y adhérer. On reconnut le succès de sa prédication et la vocation qui le poussait vers les gentils, mais non sans réticences et de la manière la plus équivoque. Tous étaient trop bons Juifs au fond pour ne pas trouver les conquêtes de Paul fort chèrement achetées par les dispenses qu’il accordait aux gentils. Il y a des alliés importuns ou indiscrets qu’on n’ose ou qu’on ne peut répudier; il est probable que Paul fut traité comme tel. La suite montra combien cette prétendue entente fraternelle était fragile et précaire.

Peu après en effet, la rupture éclata. C’était à Antioche. Paul s’y sentait sur un terrain plus solide et entouré de sympathies plus fermes. Pierre, qui s’y trouvait avec lui, mangeait avec les gentils; mais, des émissaires de Jacques étant survenus, il céda bientôt à leur influence et se retira à l’écart. Barnabé et les circoncis suivirent l’exemple de Pierre. Paul indigné apostropha ce dernier en face et le reprit publiquement, proclamant que les distinctions de personnes étaient abolies, et qu’il y avait hypocrisie ou inconséquence à vouloir conserver ou imposer aux autres des pratiques dont la doctrine nouvelle était l’abrogation. « Si le salut s’obtient par la loi, c’est donc vainement que le Christ est mort sur la croix... Il n’y a ici ni Juif, ni païen, ni esclave, ni homme libre, tous sont un en Christ Jésus. » Il semble bien peu croyable que quelques semaines avant cet éclat Paul soit venu à Jérusalem faire œuvre de dévotion légale, comme M. Renan le raconte avec l’auteur des Actes. Quelles armes en effet eût-il fournies à Jacques et quelle réplique à Pierre, si peu de jours avant il eût paru lui-même au temple en Juif fidèle ! D’autre part, Paul, qui semble énumérer si exactement ses apparitions à Jérusalem et ses rapports avec les apôtres dans sa fameuse Epître aux Galates, eût étrangement manqué de bonne foi en omettant sa présence et sa participation à la pâque de l’an 54. Quoi qu’il en soit, cet esclandre fut comme une déclaration de guerre. Jacques et ses séides, par des espions et d’occultes missionnaires envoyés à la suite de Paul et sur ses pas, travaillèrent à saper son influence, à lui enlever ses disciples, à contrecarrer ses efforts et à détruire son œuvre. La trace de cette lutte intestine est visible dans les écrits de