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senti le plus péniblement les premières atteintes, car c’est tout à son avantage que la tenace et irréprochable Angleterre des anciens jours était parvenue à établir l’assiette des relations économiques dans le globe entier. La nation anglaise a le sentiment du péril qui la menace : elle s’inquiète, elle s’agite, elle cherche à quoi se retenir sur cette pente, surtout à qui s’en prendre de la décadence qui la menace. Elle a l’air de vouloir maintenant s’en prendre au libre échange, qu’elle a demandé avec tant d’empressement. Ce n’est pas de là que vient le mal : le libre échange aurait dû lui profiter plus qu’à personne, si sa constitution industrielle n’avait pas été affaiblie. Comment une nation qui ne produit pas de quoi se nourrir, qui en revanche est dans des conditions admirables pour fabriquer des objets manufacturés, pourrait-elle se plaindre d’un abaissement de tarifs qui facilite ses approvisionnemens et favorise la vente de ses produits chez les peuples voisins? La voie qu’elle doit suivre pour reconquérir une prospérité industrielle qu’il lui faudra désormais se résigner à voir se développer également chez ses émules, c’est de revenir aux principes qui ont fondé la grandeur du commerce national.

Que le Lancashire du reste ne désespère point de l’avenir. Ces déplacemens d’industrie, comme tous les grands phénomènes sociaux, s’opèrent avec une lenteur qui sauve les transitions, et qui permettra aux districts dépossédés d’un monopole de se créer d’autres élémens de richesse. Le Lancashire ne songeait qu’aux industries du coton; aujourd’hui encore on le voit multiplier les filatures alors que la nécessité d’en créer de nouvelles se fait de moins en moins sentir. Il trouvera sa revanche dans d’autres branches de production. Les ressources qu’offrent à l’Angleterre les trésors enfouis dans les entrailles du sol sont immenses; celles que lui fournissent l’audace et la fermeté de ses habitans sont plus grandes encore. Combien de contrées d’ailleurs vers lesquelles peuvent cingler aussi ses innombrables vaisseaux chargés des multiples productions que le génie de l’homme sait rendre utiles ! Le Japon à peine ouvert, la Chine, l’Australie, les florissantes colonies qui se développent de toutes parts sous la protection du pavillon national, voilà le champ immense ouvert à ses efforts, et où elle ne saurait manquer de trouver des compensations légitimes. L’Angleterre a toujours su se mettre à la hauteur des événemens et tirer parti des circonstances les plus contraires. L’avenir montrera, il n’en faut point douter, que la race anglo-saxonne n’a pas laissé s’éteindre en elle les fortes qualités qui font les nations libres et les industries prospères.


JOHN NINET.