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« Non, s’écrie Dankmar, son caractère et sa conduite, tout est parfaitement clair à mes yeux, parfaitement clair et justifié. Ce qui est arrivé devait nécessairement arriver. Ne te fâche pas, Hermine, si j’exprime ma pensée sans ménagement...

« — Aurais-tu quelque reproche à me faire?

« — A toi, pas le moindre. Je parle des jeunes filles et des femmes de nos jours. Il me semble que la femme est en train de s’abaisser et de déchoir. Les femmes vraiment grandes du siècle dernier, Mme de Staël, Mme Roland, tant d’autres encore, celles qui réunissaient autour d’elles les esprits d’élite, dont le foyer était le centre des luttes de la pensée, dont l’âme tournée vers la lumière s’associait aux plus généreuses émotions de l’époque, ces femmes-là sont mortes. Les femmes d’aujourd’hui ne connaissent plus que deux rôles : ou bien elles sont les alliées de l’ignorance, les porte-bannières de la superstition, ou bien, dans les grandes villes, elles sont devenues quelque chose de bien pire encore. Quand on les voit aux grands centres de la civilisation moderne avec ce luxe effréné, ces mariages où le cœur n’est pour rien, cette frivolité, ce jeu impudent qui consiste à imiter par coquetterie les allures des filles de joie, on est obligé de se dire en tremblant : La femme de nos jours est sur une pente effroyable; si quelque choc subit ne la redresse pas, elle va glisser jusqu’au fond, elle va rejoindre les femmes du temps de Caligula et de Claude dans ces abîmes hideux que décrit la satire de Juvénal. Et si un autre esprit, un esprit meilleur, vient à pousser une jeune femme hors des deux sphères que j’ai indiquées, c’en est fait, la voilà dans un labyrinthe de doutes, dans une complication d’épreuves pour lesquelles elle n’est pas prête; ni l’instruction qu’elle a reçue ne lui a fourni des armes, ni l’éducation de ses jeunes années n’a trempé son âme pour la lutte. On lui a si bien caché les conditions réelles de la vie, qu’elle en ignore aussi les embûches. Comment donc ne pas honorer l’élan intérieur, la volonté pure qui la pousse à chercher sa voie? Elle peut prendre une fausse route, cela ne fera aucun tort sérieux à sa nature, à son âme, et de même que nous autres hommes nous nous appliquons tous cette parole de Goethe : « Résigne-toi à te tromper souvent, si tu aspires au vrai, » elle aussi, elle dira un jour : « Nul de nous ne devient bon, sans avoir versé des larmes. »

« Hermine et le vieil ecclésiastique ne répondirent pas. Dankmar, après un instant de silence, murmura encore d’un air distrait et comme s’il se croyait seul : « Nul de nous ne devient bon sans avoir versé des larmes. »


Ces rudes paroles contiennent une part de vérité, bien que l’auteur, en jugeant les femmes de nos jours, n’ait pas tenu compte de nombreuses et nobles exceptions. L’atmosphère morale où vivent les