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problème psychologique à une question de statistique ? Faut-il fermer désormais le livre de la conscience, et n’ouvrir à la curiosité des moralistes que les annales de l’histoire ou les relations des voyageurs ? Nous sommes loin de le penser quand nous réfléchissons à ce que cette psychologie nous laisse ignorer sur la nature humaine. Que nous apprend-elle en réalité sur l’homme ? Nous en donne-t-elle la notion intime ? Nous fait-elle réellement pénétrer dans le fond même de cette espèce humaine dont M. de Quatrefages fait un règne à part ? Voilà ce qu’il faut examiner.

Et d’abord, si l’on se met à recueillir tous les caractères vraiment distinctifs de la nature humaine, tels que l’histoire nous les donne, pourquoi s’attacher exclusivement à la moralité et à la religiosité pour en faire le type propre de l’humanité ? Si l’homme est le seul animal connu qui soit moral et religieux, n’est-il pas également le seul qui soit vraiment politique, selon la définition d’Aristote ? On dira que l’animal est sociable aussi bien que l’homme, et même que certaines espèces le sont essentiellement. — Nul doute là-dessus ; mais sociable n’est pas synonyme de politique. Une troupe de loups réunis par l’instinct de la chasse et excités par l’aiguillon de la faim n’a rien de commun avec une société d’hommes civilisés. Et si cette troupe n’est pas sans analogie avec une bande de sauvages, il ne faut pas oublier que ces pauvres sauvages possèdent en germe le principe des développemens et des transformations qui en feront une société politique avec le temps et sous l’influence de milieux différens, tandis que jamais aucune espèce animale n’est parvenue à un véritable état politique malgré les changemens de conditions géographiques ou domestiques.

Mais voici d’autres caractères sur lesquels l’équivoque n’est même pas possible. Nul ne contestera que le sentiment esthétique ne soit-propre à l’homme aussi bien que le sentiment moral et le sentiment religieux. Tous les philosophes, depuis Aristote jusqu’à Hegel, ont remarqué la supériorité de la vue et de l’ouïe sur les autres sens, en observant que la vue et l’ouïe sont proprement les sens du beau. Or. cela n’est vrai que pour l’homme. Aucun animal n’a le sentiment du beau. Cette différence ne tiendrait-elle pas à une différence essentielle d’intelligence entre l’animal et l’homme ? À parler rigoureusement, l’ouïe et la vue devraient être considérées comme les organes et non les facultés du beau. Rien n’est moins douteux. Une preuve entre mille, c’est que chez l’homme le sens esthétique est en raison du développement de l’intelligence. Tandis que la culture d’esprit et la supériorité de nature révèlent à l’œil ou à l’oreille de l’artiste tant de grands ou charmans spectacles, tant de sublimes ou ravissantes harmonies, n’est-il pas vrai que tout cela