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d’égouts et de ventilation, avaient déchaîné le typhus, le scorbut, la dyssenterie, la fièvre sur l’armée anglaise. En novembre et en décembre 1855, grâce aux précautions hygiéniques, à l’abondance, à la variété, à la qualité des alimens et des boissons, la mortalité était descendue de 23 à 4 pour 100 du nombre des malades. Un peu plus tard, quand la ventilation des abris et le drainage du sol furent établis partout, quand la propreté fut maintenue dans le camp et sur les hommes avec une sévérité judicieuse, du mois de janvier au mois de mai 1856, la mortalité, descendit à 1,7 et même à 1,1 pour 100 du nombre des malades. Dans ce second hiver passé devant Sébastopol, la moyenne des pertes de l’armée anglaise a été de 0,20 sur l’effectif, de 2,21 sur le nombre des malades. Celle de notre armée, a été de 2,69 sur l’effectif, de 19,87 sur le nombre des malades. En d’autres termes, nous avons perdu neuf fois plus de monde que les Anglais.

Peut-être dira-t-on que nos soldats n’étaient pas placés dans des conditions aussi favorables que nos alliés, qu’ils soutenaient l’effort de la guerre ; mais les pertes de notre armée ne s’expliquent point par la fatigue et le danger. Cette opinion du moins serait difficile à-soutenir en présence du chiffre des scorbutiques et des typhiques, et la correspondance du médecin en chef de l’armée, le docteur Scrive, ne permet pas de garder cette illusion. C’est notre système qui est la cause du mal, M. Scrive le dit sans violence, sans colère, et j’ajouterai avec la résignation d’un homme qui sait d’avance que tout effort est inutile, et que, dût périr l’armée, l’administration ne cédera pas. Je ne sais rien de plus triste que les lettres de ce médecin, qui est mort à la peine ; je ne connais rien qui jette un jour plus sinistre sur l’organisation médicale de notre armée. La citation est longue, mais je me ferais scrupule de rien retrancher. C’est la pièce décisive du procès.


« Il me reste à répondre au dernier paragraphe de la lettre du Conseil de santé relativement à l’appréciation comparative de l’état sanitaire de nos alliés et du nôtre. Il est parfaitement évident que les Anglais ont une situation sanitaire bien meilleure que la nôtre ; mais cette différence s’explique facilement, d’abord par la proportion du concours de chaque armée à l’œuvre commune. Pendant que nous manœuvrions de Sébastopol aux sources de Belheck pour couper la retraite aux Russes, et que nos troupes suffisaient à peine à la défense d’une ligne de quatorze lieues, les Anglais s’organisaient sans s’inquiéter d’attaques nouvelles ; Sébastopol était en ruines, nous étions maîtres de la situation ; c’était tout pour eux. En vue de l’hiver à passer en Crimée, nos alliés établissaient des baraquemens pour la troupe, amélioraient leurs chemins de fer, qui apportaient rapidement et constamment l’abondance