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dans le nombre celle où les persécuteurs ariens, au temps de l’empereur Constance, avaient enfermé un autre exilé de Constantinople, l’archevêque Paul, pour l’y laisser mourir de faim, et où ils l’avaient ensuite assassiné, parce qu’ils trouvaient sa mort trop lente. C’est dans cet affreux tombeau, au milieu de ces funèbres pronostics, que l’impératrice Eudoxie avait fait reléguer Jean Chrysostome.

Il approchait de la ville, lorsqu’il vit accourir au-devant de sa litière un homme empressé de lui parler ; c’était Dioscorus, qui lui avait fait offrir sa maison par un de ses serviteurs à Césarée, et qui venait en personne la lui offrir de nouveau. Dioscorus, riche citoyen de Cucuse, possédait à la ville une maison bien accommodée pour l’hiver et munie de tout ce qui pouvait combattre le froid, et près de la ville une autre maison qu’il se proposait d’habiter pendant le séjour de son hôte. Il expliqua toutes ces choses à Chrysostome, qui avait déjà accepté son offre à Césarée et se confondait en remercîmens, quand un second personnage intervint. C’était un envoyé de l’évêque (car Cucuse, si petite qu’elle fût, avait un évêque), lequel mettait à la disposition de l’exilé la demeure épiscopale et sa propre chambre, la seule probablement qui fût convenable pour un tel hôte dans ce modeste palais. « Je ne sais, en vérité, écrivait à ce propos Chrysostome, s’il ne m’eût pas donné en sus son trône d’évêque et son église, tant cet homme se montra pour moi bon et hospitalier. » Le banni que les évêques, tout le long de sa route, n’avaient guère habitué à de pareils traitemens, en fut touché jusqu’aux larmes ; mais il avait promis à Dioscorus et resta fidèle à sa promesse.

Adelphius (c’était le nom de ce bon évêque) trouva un digne rival dans le gouverneur de la ville appelé Sopater, magistrat honnête et grave « qui est un père pour ses administrés, écrivait l’exilé, et s’est montré plus que cela pour moi. » Aussi recommande-t-il à Olympias les fils de cet excellent homme qui étudiaient dans les écoles de Constantinople. Tout le monde au reste, suivant l’exemple des deux chefs de la petite cité, s’efforça d’adoucir ce que la pauvreté et la rudesse du pays avaient de cruel pour un vieillard malade. C’était à qui lui enverrait des villas voisines les choses nécessaires à son établissement, et sa porte était pour ainsi dire assiégée par les propriétaires ou leurs intendans. Il éconduisait avec douceur cette foule obligeante. « Dans ce pays où l’on manque de tout, disait-il à ses amis, moi seul je ne manque de rien. » Un riche Syrien d’Antioche, propriétaire aux environs de Cucuse, avait chargé son intendant de porter à Chrysostome les produits de ses fermes. « Merci de tout cela, répondit-il au maître ; je ne garde que votre amitié, c’est d’elle seule que j’ai besoin. » Les petites villes, on le voit, lui por-