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répandues en Europe ; je retrouvais les courbes des toits, tous les détails connus de l’architecture chinoise, et, si j’ose le dire, le style même des physionomies.

Un mouvement se fait dans la cour, la masse compacte des curieux s’ouvre et se referme. C’est un mandarin précédé de soldats en habits rouges qui vient officiellement nous souhaiter la bienvenue. Son chaperon à bords relevés est orné d’une tige garnie à la base de floches en soie et surmontée d’un globule bleu. Il s’incline avec grâce, nous annonce que nous étions depuis fort longtemps attendus, et que l’on commençait à désespérer de nous voir. Il nous fait apporter du riz, de la viande de porc, et s’informe de nos besoins. Malgré la présence du fonctionnaire, le public nous serre de près. Des agens avec leur bâton font reculer les plus audacieux, et deux de nos Annamites, placés en sentinelle, refoulent les curieux dans la cour, et débarrassent au moins notre domicile. Ce n’est qu’à la nuit tombante que nous pouvons procéder à notre installation, à l’abri des regards importuns. Notre pagode se compose de trois murs en briques blanchies à la chaux ; le quatrième côté, ouvert, comme je l’ai dit, est soutenu par de belles colonnes en bois. Notre ancienne connaissance, le bouddha du Cambodge et du Laos, aux traits allongés, aux oreilles pendantes, à la pose contemplative et béate, disparaît et fait place à deux personnages de grandeur naturelle. Au-dessus de ceux-ci, une femme semble planer, assise sur un nuage. Des trois grandes religions répandues dans la Chine, sans compter l’islamisme, celle de Confucius semble seule demeurée pure de tout alliage mythologique ou superstitieux. Les classes lettrées, qui sont les seules à professer cette doctrine, s’inquiètent bien moins d’y chercher des notions religieuses, qu’elles n’y trouveraient guère d’ailleurs, qu’un cours de philosophie positive et de morale pratique. Hormis la tablette de Confucius, qui figure dans les temples élevés en son honneur et dans toutes les écoles, ce culte est sans image, comme il est sans symboles et sans prêtres. Les croyances bouddhiques au contraire, introduites en Chine au Ier siècle de notre ère, sous le règne de Ming-ti, passèrent bientôt de la cour du roi de Tchou, prince vassal de l’empire, dans le cœur des petits, des misérables et des souffrans. Flattés, mais non pleinement satisfaits par l’anathème que jetait le bouddhisme à l’activité et à la vie, ces déshérités de toute espérance greffèrent sur les dogmes de Fô les superstitions qui, en l’absence d’une foi raisonnée et de doctrines philosophiques, croissent si facilement dans les ténèbres de l’âme humaine. Les temples, les images se multiplièrent à l’infini ; mais aujourd’hui les bonzes chinois, race tombée dans l’ignorance et l’abjection, sont le plus souvent incapables de donner la raison des croyances qu’ils professent par nécessité et des