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deux politiques ; celle qui, se proclamant irréconciliable à tout prix, procédant de la haine et de l’esprit de vengeance, va tout droit à la préconisation de la force, et celle qui a été suivie par M. Émile Ollivier depuis dix ans, qui se résume dans ce mot de Benjamin Constant : « si incertaine que soit une chance pour la liberté d’un peuple, il n’est pas permis de la repousser. » Cette chance n’est plus incertaine aujourd’hui ; c’est à la gauche de faire son choix entre les chances de la liberté et les chances de la révolution.

Le régime parlementaire a cela de bon, qu’il est la forme essentielle de la liberté réglée détendant chaque jour sans secousse, — du progrès se dégageant méthodiquement par l’action du pays sur le parlement, — du parlement sur le pouvoir. Il a traversé bien des crises, il a eu ses drames, ses péripéties, ses éclipses, ses représentans éminens à toutes les périodes, et rien à coup sûr ne sert mieux à mesurer la marche des choses que la comparaison des époques où ce régime a été en honneur, et des hommes qui ont eu un rôle dans nos assemblées. M. Pasquier, celui qu’on n’appelait encore à sa mort, il y a huit ans, que le chancelier, a été un de ces hommes, sous la restauration et sous le gouvernement de juillet, après avoir traversé la révolution non sans danger pour sa vie, après avoir été préfet de police sous l’empire, et l’étude que vient de lui consacrer son dernier secrétaire, M. Louis Favre, a le mérite de réveiller tous ces vieux souvenirs en présence d’une résurrection du régime parlementaire. C’est comme une image d’autrefois reparaissant au milieu d’une France nouvelle que M. Pasquier ne reconnaîtrait guère peut-être, mais à laquelle il s’intéresserait toujours. Certes, peu d’existences ont été plus remplies que celle de ce dernier chancelier de France, et peu de figures aussi sont plus caractéristiques en l’absence même de toute originalité saillante. M. Pasquier n’a été ni un homme d’état illustré par un grand rôle dans quelque circonstance décisive, ni un orateur de premier ordre ; il a été surtout un homme naturellement propre aux affaires publiques, mêlé à tous les événemens de la première partie de ce siècle, gardant en toute chose une raison ferme et merveilleusement équilibrée. Les vicissitudes qui atteignaient sa fortune ne le touchaient pas de façon à l’abattre. Le lendemain d’une révolution, il se retrouvait avec la même curiosité d’esprit, la même sagacité de jugement. Les lettres nombreuses de lui que publie M. Louis Favre le montrent toujours actif, s’occupant de politique jusqu’à sa dernière heure, s’intéressant à tout, à l’événement du jour comme à un livre nouveau, comme à une élection académique. Sans avoir d’illusions, M. Pasquier avait une confiance raisonnée et ferme dans le régime parlementaire, et justement parce qu’il n’avait pas d’illusions, il était moins accessible aux découragemens. En 1852, on lui rapportait ce mot qu’avait dit du régime parlementaire un personnage politique : « je l’aime toujours, mais je n’y