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par lequel nous terminerons. « Wagner avait merveilleusement indisposé son monde, et l’arrêt, dans sa férocité, n’était que juste. Les Français ne l’ont point mal jugé, ils l’ont jugé selon leurs propres notions d’art. Tout ce qui répondait à ces notions, à ces principes, l’ouverture, le septuor, la marche, le lied de l’étoile, a pleinement, brillamment réussi ; ce qu’on a sifflé, hué, conspué, c’est le prétendu réformateur, l’homme de l’avenir ! » De celui-là, aujourd’hui pas plus qu’alors, nous ne voulons entendre parler, et le public se montre aux concerts populaires ce que jadis il fut à l’Opéra. Ce ne sont point nos préventions qui parlent, comme on voudrait le faire croire, c’est notre goût ; les sifflets comme les applaudissemens partent ici du même centre, et l’auditoire, qui bataille pour ne pas entendre cette ridicule ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg, applaudira tout à l’heure avec autant de verve et de loyauté le chant nuptial de Lohengrin. D’ailleurs les cabales peuvent précipiter une chute, elles ne la provoquent pas. « Laissons de côté la mauvaise humeur des Parisiens et n’accusons que la musique de Wagner[1]. » Ce mot d’un. Allemand au sujet de Tannhäuser contient aujourd’hui plus que jamais la vérité de la situation.

Décidément on avait trop parlé de Mlle Marie Roze ; depuis tantôt deux ans que la gracieuse Djelma du Premier jour de bonheur avait quitté l’Opéra-Comique, il n’était question que de ses avatars ; sa voix avait pris tout à coup un volume, un essor invraisemblables, la Dugazon d’hier devenait une Branchu, et c’était le grand bénisseur Wartel qui, par la seule imposition des mains, avait opéré ce miracle. « Vous l’entendrez, c’est une transformation ! » — Et les historiettes de courir, les appointemens de quarante mille francs d’aller leur train. Parmi tous ces bruits il n’y en avait qu’un de vrai, Mlle Marie Roze était engagée à l’Opéra à des conditions beaucoup plus modestes peut-être qu’on ne l’a dit. D’ailleurs, à quoi servent toutes ces influences, tout ce chambellanisme qu’on met en avant, puisqu’il faut ni plus ni moins tôt ou tard arriver devant le public, lequel finit toujours par vous remettre à votre place ? Mlle Marie Roze a donc paru dans le Faust de M. Gounod ; charmante apparition et succès de beauté avant d’avoir ouvert la bouche : visage pompadour, gorge épanouie, sourire qui minaude, un Dubuffe, la vraie Marguerite de cet opéra. Christine Nilsson a trop d’effarement, de raideur sauvage, Mme Carvalho trop d’embonpoint, l’une est la walkyrie, l’autre la matrone d’Albert Dürer, tandis que cette fraîche, coquette et séduisante image, cette porcelaine adorable, voilà l’idéal entrevu, la définitive incarnation du type !

Marguerite s’avance, elle chante : « Non, monsieur, je ne suis demoiselle ni belle ! » Au seul énoncé de cette phrase la salle entière pressent

  1. Paul Lindau, p. 226.