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routine et de la convention ; la convention domine partout au Japon, et c’est sans doute pour obéir à ses lois que les dames de la cour, par exemple, s’arrachent les sourcils et les remplacent par deux grosses taches de peinture noire.

L’auteur du Japon illustré a surtout étudié la vie japonaise à Yeddo, grande cité de 2 millions d’âmes, où trônaient naguère encore les taïcouns. C’est, comme renom, la Corinthe de l’empire : pour être heureux, dit un proverbe japonais, il faut aller vivre à Yeddo. Cette ville de plaisance est en même temps une ville savante ; elle renferme une université célèbre, placée sous l’invocation de Confucius, et qui répand dans toutes les classes lettrées du pays les doctrines de ce philosophe chinois. De cet enseignement officiel, M. Humbert passe aux traditions et nous donne quelques pages intéressantes sur les légendes et les contes japonais. En fait d’imagination, les Japonais, si loin de nous géographiquement, nous touchent souvent de très près ; où ils se montrent originaux, bizarres même, c’est principalement dans la mise en œuvre de leurs idées. La simple esquisse de M. Humbert fait désirer une étude complète de la littérature japonaise ; ce ne serait certes pas du travail perdu. Si la poésie allemande, avec Rückert et Henri Heine, s’est enrichie par des emprunts faits à la Perse et à l’Indoustan, le Japon nous réserve sans doute, au même titre, de précieux trésors ; mais il faut, avant tout, se glisser au cœur du pays. Comment ? Par le commerce. Depuis le jour où les Japonais, du moins ceux des côtes, ont reçu des Hollandais les premières leçons de négoce, leurs idées se sont déjà bien modifiées ; en vain le gouvernement a essayé d’arrêter l’essor de leur génie mercantile ; les élèves font aujourd’hui honneur aux maîtres. Malgré les mille tracasseries d’une police soupçonneuse, les étrangers, dans les petites îles, semblent presque surgir du sol ; le commerce occidental a envahi Nagasaki, Hakodadé, Yokohama, Hiogo, Osaka et Niagata, et les navires européens ont en outre obtenu l’entrée des trois ports de Shenkaï, Kagosima et Simonoséki ; il est vrai de dire, pour les deux derniers, que nos boulets y avaient fait brèche[1]. Pour comble, la majesté silencieuse de ce vieil empire qui voulait demeurer inconnu est violée chez nous jusqu’à fournir un livre d’étrennes, qui est maintenant aux mains des femmes et des enfans.

Jules Gourdault.

C. Buloz.
  1. Voir la Revue du 1er novembre 1865.