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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

de la liste des prophètes, y soit replacé avec David et Samuel, et, s’il s’est trouvé des personnes assez audacieuses pour déposer le corps d’Eudoxe à côté des apôtres, ne recevons pas comme un exemple sacré ce qui est profane et sacrilége. Ce n’est pas que nous insultions un mort, ni que nous ayons dessein de nous réjouir des maux des autres : telle n’est pas la conduite d’un chrétien ; mais nous avons plus d’égards à l’intérêt de l’église, qui veut que les sacrés canons soient inviolables, qu’à un sentiment de compassion pour un homme. Entre ces deux partis, il faut opter. Donnez-nous la consolation de pouvoir entretenir une communion toute pure et toute sainte avec votre piété, et ne témoignez pas faire plus d’état d’un homme mort que de la charité envers les vivans. »

Telle était en résumé la lettre de Cyrille, captieuse, incisive, et qui présentait comme définitives et entourées d’une sanction unanime des décisions de conciles dont il y avait appel. C’était une attaque non-seulement contre les deux patriarches orientaux qui avaient fait leur soumission, mais aussi contre le pape Innocent, qui l’avait demandée. Le patriarche d’Alexandrie, en l’écrivant, n’avait aucun espoir de ramener Atticus, dont il connaissait l’ambition, non plus que les deux empereurs ; il se posait en chef de parti, gardien des lois ecclésiastiques, en face de l’église romaine, dont il dédaignait la communion. C’était un manifeste de guerre, et d’une guerre encore redoutable malgré ce que Cyrille appelait la désertion d’une partie de l’Orient, car il avait derrière lui tous les évêques de l’Égypte, de la Cyrénaïque, de la Pentapole, tremblans sous sa domination, sans compter l’Afrique carthaginoise, qui, retenue par ses liens d’antique fraternité avec l’Égypte, semblait faire partie de son cortége. Un tiers du monde chrétien obéissant ainsi aux passions de cet homme hardi, téméraire, capable de tout pour régner, et en lutte directe avec le chef de l’église romaine, le danger de schisme était plus grand peut-être pour Chrysostome mort qu’il ne l’avait été pour Chrysostome vivant. Toutefois Innocent ne faiblit point. Comme un démenti éclatant au manifeste de Cyrille, il proclama son union avec les églises d’Orient rentrées dans l’orthodoxie, et avec Atticus tout le premier, comptant sur l’action de Dieu, qui, dans les grands orages de ce monde, ne demande aux hommes que l’amour persévérant du bien et le courage.

Cette nouvelle guerre dura pendant toute la vie d’Innocent. Sous les successeurs de ce grand pape, Cyrille, que d’autres disputes et d’autres haines occupèrent bientôt en Orient, eut besoin de l’appui de l’église romaine, et comme, pour obtenir son appui, il fallait qu’il rentrât d’abord dans sa communion, il consulta ou feignit de consulter quelques évêques égyptiens fatigués du schisme, et inscrivit le nom abhorré de Chrysostome sur les diptyques d’Alexan-