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la Prusse sur les côtes de la Baltique? On sait que depuis longtemps elle inquiète elle-même l’extrême nord par ses empiétemens continus dans les plaines de la Laponie; elle pousse en avant ses troupeaux de rennes dans ces vastes pâturages; du même pas, son influence et sa domination s’acheminent vers l’ouest, et en même temps ses vaisseaux dépassent le cap, faisant voile vers ces fiords de la côte nord-ouest de la Norvège, que les eaux tempérées du gulf-stream empêchent de geler jamais. On peut se rappeler que ce fut là un des griefs invoqués par les cabinets lors de la guerre d’Orient, en 1854. Avec quelle ardeur la Russie ne reprendrait-elle pas ces anciens projets, quand elle pourrait en quelque mesure les justifier par la nécessité de trouver, en face des conquêtes de la Prusse, une compensation sérieuse! Tout en revendiquant cette proximité de la Mer du Nord, elle continuerait de lutter, on peut le croire, pour ne pas être exclue de la Baltique, et elle mettrait en œuvre à l’égard du roi de Suède et de Norvège, comme la Prusse à l’égard du roi de Danemark, les ressources puissantes dont elle aussi dispose, offres et menaces. Qui sait combien peu il lui faudrait attendre avant qu’une diplomatie désorientée ou distraite, avant qu’un dangereux concours de circonstances, soit des diversions habiles, soit un désarroi général, vinssent lui fournir l’occasion de réduire la Suède et la Norvège à l’état de vassales? Et qui empêcherait finalement les deux cabinets de Pétersbourg et de Berlin de s’entendre au sujet de leurs intérêts dans le nord? Serait-ce la première fois? En fait de violations de traités, en fait de protections et d’interventions perfides, sommes-nous si loin des plus mauvais jours du XVIIIe siècle? Maint journal rédigé dans le nord sous des inspirations étrangères, par exemple, en Danemark, la feuille intitulée la Couronne, a plus d’une fois déclaré que ce royaume était destiné à devenir une province allemande, et la Suède avec la Norvège une province russe.

S’il est vrai que le nord soit ainsi menacé, quels moyens peuvent prévenir une telle altération de l’équilibre général? Une guerre, nous le disions, serait le plus terrible fléau. Ne peut-on pas souhaiter plutôt de voir les états dont la faiblesse est une tentation et un danger acquérir, par d’utiles alliances, des forces nouvelles? La cause première de l’inertie à laquelle les peuples Scandinaves sont aujourd’hui condamnés, l’origine des malheurs qui ont déjà frappe le Danemark, la raison de cette anxieuse insécurité qui peut paralyser tout développement en Suède et en Norvège, le germe des périls qui commencent de planer presque également sur tout le nord, c’est l’isolement funeste des deux groupes qui le composent. Signaler la nature d’un mal, c’est bien souvent en indiquer le remède. Le seul remède vraiment pratique qu’on puisse invoquer ici, non pas sans