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stimulé le développement, et qui, par leur propre énergie, par leur propre élasticité, ont acquis une importance considérable ; elle a pour elle la raison, l’équité, la prévoyance. En définitive, qu’est-ce que la protection ? C’est un droit régulateur usurpé par l’état au profit de certaines industries, c’est un expédient arbitraire pour créer un équilibre factice au moyen d’un impôt qui pèse sur tout le monde ; mais, si cela est naturel et juste, que doit-on répondre aux ouvriers demandant à l’état ou revendiquant eux-mêmes la prétention de peser artificiellement sur les conditions du travail, de régler les salaires ? Voilà où l’on va, et c’est par la liberté seule qu’on échappe à ces conséquences.

L’industrie peut souffrir sans doute. Les souffrances qu’elle éprouve tiennent à bien des causes, les unes accidentelles et passagères, les autres sérieuses et profondes. Qu’on se demande, par exemple, quelle influence peuvent avoir sur le développement du travail national ces crises qui éclatent par des grèves, et qui deviennent plus dangereuses encore par les idées qui engendrent les grèves. Il n’est point douteux que lorsque l’on parle de l’industrie aujourd’hui on ne peut laisser de côté ce mouvement sourd, croissant qui s’accomplit dans les classes laborieuses, et puisqu’on ouvre une enquête sur la production nationale dans ses rapports avec l’extérieur, on devrait en faire une autre qui ne serait pas moins nécessaire sur les conditions intérieures du travail, sur ces troubles qui se manifestent de temps à autre et envahissent successivement tous les foyers industriels. On vient de le voir par un exemple récent, celui du Creuzot. Voilà un des plus grands établissemens de la France et de l’Europe, qui occupe dix mille ouvriers ; un jour, presque à l’improviste, tous les travaux s’arrêtent, les ouvriers sont en grève. Pourquoi cela ? Les chefs de ce grand établissement ont-ils manqué de sollicitude ou de prévoyance ? ont-ils traité durement ceux qu’ils emploient ? Nullement, depuis trente ans ils sont à l’œuvre pour développer leur industrie en conciliant leurs intérêts avec les intérêts des ouvriers ; il ont créé une ville, fondé des écoles, des hôpitaux, des institutions de prévoyance et de secours ; ils se sont fait un devoir depuis vingt ans de ne pas laisser leurs ouvriers un seul jour dans le chômage. Cette grève du Creuzot ne s’expliquerait donc par aucune raison sérieuse tirée de la situation des travailleurs. La raison serait-elle cette caisse de secours dont les chefs de l’usine avaient eu jusqu’ici la gestion et que les ouvriers veulent maintenant administrer eux-mêmes ? mais les directeurs avaient proposé spontanément de transférer cette administration aux ouvriers, sans compter que cette caisse, riche aujourd’hui, serait à coup sûr moins prospère sans les contributions des propriétaires du Creuzot. Il faut donc qu’il y ait autre chose. Évidemment cette grève est le résultat d’un mot d’ordre, une tentative pour capter la population d’un centre industriel resté jusqu’à présent à l’abri de toute agitation. La