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ESSAIS ET NOTICES.

De l’Esprit moderne au point de vue religieux, par M. Lefranc, professeur de philosophie à la Faculté des Lettres de Bordeaux. Paris, Ladrange, 1869.


Voici un livre qui pourrait avoir un prix de style à l’Académie française, en même temps qu’un prix de doctrine à l’Académie des Sciences morales. Ce ne serait pas en donner une idée suffisante que de dire que c’est une profession de foi spiritualiste. Le spiritualisme de M. Lefranc n’est point une thèse d’école; c’est un sentiment intime du cœur. On sent que c’est encore plus un cri de l’âme qu’un effort de l’esprit. Aimable et doux par tempérament non moins que libéral et tolérant par principe, l’auteur ne jette l’anathème à aucune doctrine contraire à la sienne; il n’a que des paroles de sympathie pour toutes les écoles du temps qui cherchent sincèrement la vérité; il s’évertue même à retrouver le sentiment religieux jusque dans les sceptiques tendances de la critique contemporaine. Il estime que « le doute profond renferme une religion dans ses abîmes, et que quiconque sondera ses douloureux mystères y trouvera un fondement indestructible des saintes espérances de l’humanité. » Comment le doute a-t-il cette vertu? En dégageant du sentiment d’imperfection et de faiblesse qui est inhérent au doute sérieux l’idéal de perfection, l’absolu de vérité auquel la pensée aspire. Le sens de l’infini se révèle dans cette critique ardente et parfois désespérée des grands douleurs de notre siècle. Or, s’il est dans la nature du sentiment religieux de se prendre à un symbole, c’est aussi un caractère propre de ce sentiment qu’il s’attache surtout à l’idéal dont ce symbole ne peut être qu’une représentation incomplète. Voilà comment, selon l’auteur, la foi et la critique se donnent la main.

Le sujet du livre est très vaste. Il n’en guère de question philosophique ou religieuse de quelque importance que l’auteur n’y fasse rentrer. Il en résulte que, disséminant ainsi sa pensée sur un si grand nombre de points, il ne peut concentrer sur chacun la lumière que demanderaient de tels problèmes. Ce n’est pas qu’on ne retrouve, à travers cette variété de questions traitées comme en passant, une doctrine qui les relie entre elles. M. Lefranc est un spiritualiste mystique, et ce point de vue suffit pour donner à son œuvre une certaine unité. Il n’en est pas moins vrai qu’il est plus facile de saisir l’âme que l’esprit du livre. L’âme surabonde en sentimens généreux et en nobles pensées, tandis qu’il faut y regarder de très près pour voir se développer la pen-