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cette antique demeure exerçait son hospitalité princière. » Cet attrait de la grâce et de la bonté que Macaulay devait subir quelques années plus tard, Brougham n’y avait pas non plus échappé, et lord Holland demeura longtemps pour lui un protecteur vénéré.

Ce fut dans ce milieu brillant, où il jouissait, d’être apprécié à sa valeur, que Brougham passa les premières années de son séjour à Londres. En revanche, ses succès au barreau furent loin pendant longtemps d’égaler ses succès dans le monde. On peut s’imaginer l’impatience avec laquelle il attendait l’occasion de se produire. Il finit cependant par la rencontrer. Les marchands de Liverpool le chargèrent de demander en leur nom, devant le parlement, la révocation des ordonnances en conseil, rendues par mesure de représailles contre le blocus continental, mais qui paralysaient le commerce extérieur de l’Angleterre. Pendant six semaines, Brougham dirigea chaque soir les débats de cette grande enquête parlementaire, interrogeant lui-même les témoins, tirant parti avec un art admirable de leurs dépositions et déployant une merveilleuse quantité de connaissances scientifiques et économiques. Il perdit sa cause, mais de ce jour sa fortune d’avocat fut faite. Cependant, et bien qu’à partir de ce premier succès Brougham dût être souvent chargé des intérêts les plus graves, il ne parvint jamais à se faire compter par les praticiens comme un véritable avocat d’affaires. Il conserva toujours dans sa manière d’être quelque chose de pétulant et d’inconsidéré qui éloignait la confiance des attorneys, dispensateurs suprêmes du pain quotidien des avocats anglais. On lui reprochait de s’inquiéter beaucoup moins du verdict que de la plaidoirie, du résultat que de l’effet. Aussi lui arrivait-il souvent, après avoir écrasé un de ses confrères sous la supériorité de son éloquence et ravi tout l’auditoire, d’être lui-même écrasé sous un verdict accablant et de s’en aller confus.

En revanche, il devait dépasser de bien loin tous ses contemporains et s’élever peut-être aussi haut qu’Erskine lui-même en s’engageant dans la voie des procès politiques et surtout des procès de presse. Cette voie se trouve aujourd’hui fermée aux jeunes avocats anglais, l’expérience ayant amené nos voisins à se défier des lois sur la presse comme d’une arme à deux tranchans dont l’usage blesse le plus souvent celui qui la manie; mais les procès pour libelle, suivant l’expression technique, étaient chose fréquente en Angleterre sous la domination des Liverpool et des Castlereagh. Pendant et depuis leur administration, les franchises de la presse n’eurent pas de défenseur plus constant que Brougham jusqu’au jour où, devenu membre de la chambre des lords, il se leva pour dénoncer comme une infraction aux privilèges de la chambre les