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piété (Zacharie] ; échelons de l’intelligence : l’intuition contemplative (la Libyque), l’enthousiasme (Daniel), l’étude patiente (la Cuméenne), la méditation (Isaïe), le délire poétique (la Delphique) ; échelons de la passion : la douleur (Jérémie), le zèle jaloux (la Persique), l’amour violent (Ezéchiel), l’ardeur de savoir (l’Erythréenne), la constance fidèle à la vérité (Joël).

Voilà la lumière qui jaillit de la succession des personnages ; une autre lumière jaillit de l’opposition des figures. Chaque faculté d’inspiration est opposée à la passion ou à la vertu morale qui lui correspond, lui fait contraste ou la balance. La Libyque, qui n’est que contemplation pleine d’espérance, est opposée à Jérémie, qui n’est que contemplation douloureuse. Daniel, qui sous le feu de l’enthousiasme communique librement ses secrets, fait face à la Persique, qui les rumine pour elle seule avec un égoïsme défiant. La Cuméenne est une raisonneuse ; Ezéchiel, qui lui fait face, est un disputeur. Isaïe, qui exprime le génie de la méditation, fait face à l’Erythréenne que possède l’amour de la science. Joël et la Delphique sont deux esclaves de la foi sous des formes différentes : la sibylle appartient au dieu qui parle par sa bouche, le prophète appartient à la vérité, dont il est le serviteur soumis.

Il peut y avoir quelques détails arbitraires dans l’explication que nous avons donnée des idées de Michel-Ange ; mais le sens général et la succession logique de ces idées sont certainement tels que nous l’avons établi. Quelque lecteur trouvera peut-être qu’il y a dans ces fresques trop grande abondance de théologie, et qu’il ne serait pas mal d’y découvrir quelque idée mise au monde par le XVIIIe siècle ou en vogue à l’heure présente. Je ne puis répondre autre chose que ceci : Michel-Ange, républicain et chrétien fervent, ne séparait pas ses opinions politiques de ses convictions religieuses ; il n’était pas républicain, quoique chrétien, il l’était parce qu’il était chrétien. Il était républicain moins encore par ses traditions toscanes que par ses lectures assidues de la Bible, livre dans lequel il trouvait les origines séculaires de ses opinions, et qui lui présentait ses préférences politiques comme sanctionnées par la tradition du genre humain. Et puis la théologie était l’air ambiant que respirait un Italien de cette époque ; Raphaël n’y a pas plus échappé que Michel-Ange. Très versé lui-même en théologie, il voyait journellement des théologiens qu’il consultait, comme nous consultons de nos jours des physiologistes ou des positivistes. Chaque siècle a ses mœurs.

Les classifications toutes faites et que l’on se passe d’âge en âge ont plusieurs mérites que je ne veux point méconnaître : elles abrègent le temps, elles dispensent d’étudier, elles mettent à la portée de tous une opinion qui a pour elle l’autorité des années. Michel--