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ORATEURS DE L’ANGLETERRE.

qualité de membre de l’église d’Angleterre. » Je suis sûr qu’en effet cette demi-heure eût été bien employée. Toutefois, si sa qualité de dissident lui impose de la réserve, sa pensée perce partout, et l’on voit que pour lui l’église est un symbole et un instrument des privilèges qui doivent disparaître. Il regarde l’église d’Angleterre et la chambre des lords non pas comme des appuis, mais comme des obstacles pour un gouvernement complètement libre. Seulement il laisse faire au temps. Il les attaque, l’église surtout, avec mesure ; il se contente de les observer d’un œil vigilant et de s’opposer avec énergie à leurs empiétemens. Il résiste surtout à ceux qui voudraient augmenter l’influence de l’église sur l’enseignement. « Affranchissez-vous, disait-il en 1847, des entraves de votre église, délivrez la religion de toute intervention de l’état ; si vous voulez doter l’enseignement aux frais de la nation, qu’il ne dépende pas des doctrines d’une confession particulière. Vous trouverez alors dans ce pays toutes les sectes d’accord sur l’éducation comme elles le sont en Amérique. » Si l’éducation populaire est une condition de liberté, une garantie sociale, une forme de l’émancipation, c’est une raison de plus pour qu’il ne veuille pas armer l’aristocratie d’un si puissant levier.

« Je ne me sens pas très démocratique, » disait M. Bright lors de la discussion du bill de réforme de lord Derby. Ce mot signifiait dans sa bouche qu’il n’a pas l’idolâtrie du nombre, et qu’il ne veut pas asservir aux masses laborieuses les autres classes de la société anglaise, lorsque celles-ci auront abjuré leurs privilèges légaux. Dans une autre et meilleure acception, la démocratie est une question de confiance, et c’est proprement à ce point que se réduit toute la différence entre ceux qui voudraient maintenir l’exclusion politique du peuple et ceux qui la combattent. Les uns ne peuvent admettre que le peuple, condamné au travail sans relâche, ignorant le loisir et le bien-être, puisse cesser un seul instant de tourner sa meule et se mêler du gouvernement sans vouloir se constituer à lui-même des privilèges et sans ébranler les colonnes de justice et de liberté qui supportent l’édifice social. De là l’inquiétude que le peuple leur inspire, de là leurs dédains plus irritans pour lui que leurs privilèges, et cette inquiétude et ces dédains ne sont pas le propre des tories. On se rappelle les excès de langage auxquels s’est maladroitement porté contre le peuple, pendant la discussion du bill de lord Russell, un député libéral, éloquent, M. Lowe, dont les circonstances ont fait depuis un collègue de M. Bright au ministère. Il y a toute une école de politiques qui regardent la peur du peuple comme le premier article de la sagesse ; il y en a d’autres au contraire, et M. Bright est de ceux-là, qui croient la justice seule