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ORATEURS DE L’ANGLETERRE.

voir en une autre occasion combien la passion troublait des têtes si froides, lorsque M. Roebuck vint proposer à la chambre des communes, le 30 juin 1863, de reconnaître la confédération du sud, et se porta garant des dispositions de l’empereur Napoléon III. La garantie était bien étrange, moins étrange toutefois que la démarche du député anglais allant de son autorité privée négocier avec le chef d’une nation voisine, et que l’irréflexion du souverain qui avait accueilli un tel ambassadeur. Que ce député fût un radical, un homme qui s’était maintes fois expliqué sur le compte de Napoléon III en termes plus que sévères, et qu’il invoquât devant une assemblée anglaise, comme une raison décisive en faveur de la guerre, les sentimens de ce souverain, cela prouve assez qu’on était bien près, en Angleterre, de passer les bornes. M. Bright n’abusa pas des avantages que la situation lui donnait, mais il en usa largement ; il traita M. Roebuck de telle sorte que ce personnage ne s’en est pas relevé, et son ironie atteignit en passant l’impérial confident de M. Roebuck. « Lorsqu’on me dit d’un côté que l’empereur Napoléon va faire la guerre à la Russie, de l’autre qu’il va faire la guerre à l’Amérique, je suis tenté de songer à ce qu’il a déjà sur les bras. Je vois qu’il occupe Rome contre l’opinion de toute l’Italie. Ses soldats sont en train de conquérir le Mexique, marquant chacun de leurs pas par la dévastation et le sang. Il fait la guerre à bâtons rompus en Chine, il fait je ne sais trop quoi au Japon. Je dis que, s’il entreprend la tâche de démembrer le grand empire du nord et en même temps la grande république occidentale, il a une ambition plus vaste que Louis XIV, plus vaste que le premier de son nom ; je dis que, s’il veut faire cela, sa dynastie peut tomber et être ensevelie sous les ruines entassées par sa propre ambition. » Cette fois encore les partisans de la guerre se continrent ; mais que serait-il arrivé, s’ils étaient parvenus à faire passer dans les classes populaires leur irritation et leurs chimères ? Ces sentimens, qui se sont par bonheur dissipés en fumée, n’auraient-ils pas allumé l’incendie, si les masses n’avaient pas eu plus de sagesse, et si cette sagesse n’avait pas arrêté, dominé leurs prétendus tuteurs ? M. Bright fit bien de s’appuyer et d’agir sur elles, et les discours qu’il prononça pour encourager leurs sympathies en faveur du nord sont des monumens qui ne fon ! pas moins d’honneur à son sens politique qu’à l’élévation de son âme.

Il lui a été donné de recueillir à pleines mains les fruits de son courage. À la fin de 1867, dans un banquet public offert à M. William Lloyd Garrison, un des vétérans du parti anti-esclavagiste en Amérique, qui était dès 1829 enfermé dans les prisons du sud, il passait en revue, dans une énumération d’une grandeur épique, tous ceux qui avec M. Garrison avaient préparé la victoire, orateurs