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celles où le Pinturicchio a répandu le plus doux coloris, ainsi que le lui permettaient et la nature du lieu et la destination de ces peintures, car le Pinturicchio est d’une si scrupuleuse sévérité que d’ordinaire il n’a pas recours au charme de la couleur. Ses fresques sont dépourvues de tout éclat, sans être pour cela déplaisantes à l’œil; les fresques d’Ara-Cœli sont à peu près noires, et n’en laissent pas moins un souvenir profond. On dirait que le peintre a eu scrupuie d’employer pour les fresques des églises toutes les ressources de l’art, et qu’il se serait reproché un trop beau coloris comme un péché envers le sérieux que lui commandaient ses sujets et surtout leur destination; mais à l’appartement Borgia il s’agissait de faire avant tout des peintures décoratives, et le Pinturicchio s’est accordé dans une honnête mesure l’indulgence qu’il s’était refusée ailleurs. Quelques traces d’archaïsme assez singulières se remarquent dans ces peintures de l’appartement Borgia : par exemple, lorsque le peintre a besoin de représenter un édifice, une maison, un palais, une tour, il se sert d’un procédé de maçonnerie qui fait saillie sur la muraille d’une épaisseur d’un pouce au moins. Cette bizarrerie est-elle due à une gaucherie, ou bien a-t-elle un but de décoration? La dernière hypothèse est évidemment la vraie, car, si cette bizarrerie devait s’expliquer par une gaucherie de l’artiste, elle se rencontrerait dans ses autres œuvres toutes les fois qu’il a eu besoin de figurer un édifice. En tout cas, il est certain que cette singularité est loin d’être choquante, et que l’on peut la dire savante plutôt que naïve, car elle est d’un effet décoratif des plus heureux; la lumière s’accroche gaîment aux angles de ces miniatures de maçonnerie, et quand on voit ces fresques au printemps, bien éclairées par la lumière Italienne, cette particularité doit leur prêter une sorte de riante réalité qui les met en harmonie avec le spectacle de la nature du dehors.


EMILE MONTEGUT.