Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/1021

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsque M. Strossmayer, tenant à fixer le sens d’un article du règlement imposé au concile, a demandé si les décrets de foi devraient être votés à la simple majorité numérique des voix ou à l’unanimité morale des suffrages. Aussitôt un effroyable tumulte a éclaté, comme si ce mot d’unanimité morale allait droit à ce qui était dans l’esprit de tous, l’infaillibilité du pape. L’orateur s’est vu assailli d’interruptions, et n’a pu aller plus loin ; il n’a eu d’autre ressource que de protester contre les violences qui étouffaient sa parole. Bref, à mesure que le concile avance dans ses travaux, il y a chez la plupart des prélats, déjà suffisamment fixés sur ce qu’ils doivent faire, une impatience croissante, et on approche sans doute du moment où le dernier mot, le mot décisif, sera prononcé par une assemblée qui est arrivée à Rome avec la préméditation de faire un pape infaillible. Qu’on couronne donc le pontife de cette dernière gloire de l’infaillibilité, suprême et naïve ambition de Pie IX. Ce sera une victoire apparente pour le pape actuel et une défaite pour la papauté, car, s’il est aisé de trouver dans un concile une majorité dévouée, il est un peu plus difficile de vaincre cette opposition extérieure grandissante, qui prenait récemment un accent particulier en passant par la bouche d’un mourant, M. de Montalembert. On a empêché à Rome un service funèbre qui devait être célébré pour l’ancien chef du parti catholique français, et voici que M. de Montalembert proteste encore même après sa mort dans quelques pages qui précèdent un petit livre publié ces jours derniers sous ce titre de Testament du père Lacordaire. Il n’hésite pas à ranger dans l’armée de ceux qui protesteraient comme lui l’intrépide dominicain qui appelait le gouvernement romain « un gouvernement d’ancien régime, » et l’infaillibilité « la plus grande insolence qui se soit autorisée encore du nom de Jésus-Christ. » Voilà les victoires des docteurs nouveaux de l’autocratie pontificale ! À chaque bataille qu’ils gagnent, ils voient diminuer leur armée, ils soulèvent contre leur cause les esprits les plus éminens, et ils ne continuent pas moins à se complaire dans leur imperturbable orgueil.

Les crises sont partout aujourd’hui et elles prennent toutes les formes. Elles sont religieuses, locales, politiques, nationales, et quelquefois elles réunissent tous ces caractères. C’est véritablement une crise organique qui se déroule en ce moment à Vienne, dans cette partie de l’empire autrichien qui s’appelle la Cisleithanie ; ici on ne sait plus trop comment sortir de la confusion où l’on est tombé, et on touche de fort près à la nécessité d’une nouvelle réforme constitutionnelle pour essayer une fois de plus de faire vivre ensemble tous les élémens incohérens qui s’agitent dans l’empire. C’est une lutte permanente et par instans très aiguë entre deux politiques, l’une prétendant soumettre toutes provinces réunies sous le nom de Cisleithanie à un système d’unité et de forte centralisation, l’autre cherchant la paix dans la conciliation et tendant à rapprocher les nationalités différentes sous un régime plus ou moins