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dans cette mobilité apparente des choses qu’on entretient involontairement, lorsque la première nécessité serait beaucoup moins d’avoir des victoires d’éloquence que d’agir, beaucoup moins de multiplier les déclarations théoriques que de mettre la main à l’œuvre, et d’appliquer cette politique libérale qui n’est jusqu’ici, aux yeux du pays, qu’un généreux et séduisant drapeau.

Malheureusement c’est là un piège dont il ne semble pas bien aisé de se défendre. Les réformes vraies et sérieuses qui touchent à l’administration, aux finances, à l’instruction publique, aux intérêts commerciaux et économiques, ces réformes sont difficiles sans doute, elles exigeraient une patiente et laborieuse attention ; alors on les ajourne pour se jeter sur cette proie de la dissolution du corps législatif et des candidatures officielles, sans songer qu’en agissant ainsi on a l’air de se dérober aux véritables difficultés, et de tout sacrifier à l’éclat des discussions passionnées. Rien n’est assurément plus facile que de décréter de mort le corps législatif, c’est bien plus facile que de faire de bonnes lois, un coup de tête et une signature suffisent. En quoi cependant la situation se trouverait-elle simplifiée ? Elle n’en serait que plus obscure au contraire, une dissolution prononcée par impatience ne ferait que compliquer un mouvement à peine commencé, et somme toute l’honorable comte Daru a posé la question dans les termes les plus justes lorsqu’il disait l’autre jour : « Pourquoi n’accepterions-nous pas le concours de cette assemblée ? Pourquoi imposerions-nous au pays des agitations qui ne sont jamais sans danger, et qui seraient dans ce cas sans motif ? » La dissolution serait-elle nécessaire parce que cette chambre, qui n’a que quelques mois d’existence, est insensible au vœu public, parce qu’elle est née de l’abus des influences officielles, et qu’elle ne représente plus l’opinion ? Par une contradiction qui n’est pas la seule dans son discours, M. Jules Favre lui-même a été le premier à rendre témoignage en faveur de ce corps législatif dont il demande pourtant la disparition. M. Jules Favre a fait aux députés ca compliment un peu imprévu, que « le souffle de la volonté nationale a passé par leur conscience, » et a eu raison de tous les mauvais vouloirs. Ce sont les cent-seize qui ont provoqué le message du 12 juillet 1869 et le sénatus-consulte du 8 septembre ; ce sont les cent vingt-huit qui ont donné naissance au ministère du 2 janvier 1870. Au contact de ces manifestations du corps législatif, le pouvoir personnel a reculé. « C’est le pouvoir national qui a affirmé sa volonté, et cette volonté a été acceptée, » M. Jules Favre le dit. Il resterait à savoir comment une assemblée qui a fait tant de choses, au dire de M. Jules Favre, serait désormais absolument incapable de coopérer avec quelque utilité à une transformation dont elle a été la promotrice victorieuse, comment elle-serait indigne de vivre un jour de plus.