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de population un antagonisme redoutable qui s’est traduit dans ces derniers temps en meurtres mystérieux. C’est là le mal auquel il s’agit de porter remède en établissant un équilibre de garanties entre les propriétaires terriens et les classes subordonnées qui vivent de leur travail. Le remède, il n’y a pas à s’y tromper, est une révolution sociale dans toute la force du terme, et cette révolution, M. Gladstone l’accomplit avec l’esprit pratique anglais, sans toucher au droit du propriétaire, mais en favorisant la transmission et la diffusion de la propriété, — sans intervenir dans la fixation des conditions de la tenure, mais en garantissant les tenanciers contre les expulsions iniques et intéressées. C’est là tout l’esprit du land-bill qui vient d’être présenté par M. Gladstone, et qui se résume dans une double série de mesures. Une partie du bill facilite la vente des terres en offrant aux nouveaux acquéreurs une avance de fonds remboursables par annuités ; une autre partie définit les rapports du propriétaire et du tenancier, en consacrant au profit de celui-ci des usages d’ailleurs admis dans certaines portions de l’Irlande. Le tenancier ne pourra plus désormais être expulsé à trop courte échéance et sans garanties ; les améliorations qu’il aura réalisées lui seront comptées et remboursées. Un tribunal arbitral tranchera les différends suscités par l’exécution de la loi. En un mot, c’est tout un ensemble de combinaisons ingénieusement conçues pour accomplir une grande réforme, pour créer un droit nouveau sans porter atteinte à l’essence du droit ancien de propriété. Et il y a quelque chose de plus remarquable encore que les détails minutieux et complexes d’un bill, c’est la large et humaine inspiration de M. Gladstone présentant son œuvre comme un gage de réparation et de réconciliation offert à l’Irlande, non comme un acte de parti, mais « comme une œuvre commune d’amour et de bonne volonté générale pour le bien commun de la commune patrie. » Quand il parlait ainsi avec un chaleureux entraînement, le chef du ministère libéral de l’Angleterre évoquait habilement le souvenir d’un des plus éloquens discours de lord Derby sur l’Irlande, et celui d’un discours plus récent de M. Disraeli, — ce qui peut faire croire qu’il y aura bientôt un grand débat, mais point de dissentiment profond sur les affaires irlandaises.

L’Angleterre a du reste en ce moment le bonheur d’être tout entière à des réformes sérieuses et de l’ordre le plus élevé. M. Gladstone avait à peine présenté son bill sur l’Irlande que le vice-président de l’instruction publique, M. Forster, arrivait au parlement avec un autre bill destiné à développer l’éducation populaire, en Angleterre et dans le pays de Galles. M. Forster part de ce point, qu’il faut absolument « couvrir le pays d’écoles, » qu’il doit y en avoir partout, et que l’instruction doit être rendue obligatoire là où cette mesure sera nécessaire. Ce caractère obligatoire est certes assez nouveau en Angleterre, où l’état a si peu