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daient au peuple que personne avant eux n’avait seulement songé à soulager ou à guérir ses plaies. Leur impuissante panacée ne fait-elle plus de dupes? Je n’en voudrais pas répondre; mais ce qui est bien certain, c’est qu’en dépit de tous les rêves, de toutes les chimères que peut forger l’esprit humain, quels que soient les futurs triomphes de la démocratie, il y aura toujours en ce monde des masses innombrables obligées de travailler pour vivre, et que les seuls moyens d’améliorer leur condition seront toujours, sauf quelques différences d’application et de détail, ceux dont le jeune auteur du mémoire sur la charité recommandait modestement l’emploi, c’est-à-dire la juste élévation des salaires et la prudence individuelle, la prévoyance des travailleurs.

C’était en 1829 qu’avait paru la première édition de l’Essai sur la charité. J’insiste sur la date. Pour l’auteur et pour ses amis, pour toute notre cohorte du Globe, les circonstances venaient de prendre un caractère étrangement nouveau, et nos idées un tout autre courant. De 1824 à 1927, jusqu’au moment des élections qui renversèrent M. de Villèle, la politique ne nous avait préoccupés qu’en perspective, pour ainsi dire, et même à distance assez longue. Nos opinions n’étaient représentées à la chambre, dans le petit groupe de l’opposition, que par deux ou trois personnes tout au plus, et le pays semblait plongé dans un tel sommeil que toute sollicitude politique était pour nous plutôt une abstraction qu’une réalité. Pendant ces trois années, nous n’étions pas sortis de notre camp philosophique et littéraire, du pur domaine des idées, ne poursuivant que notre guerre aux préjugés et aux routines. La grosse affaire en ce temps-là était le succès ou la chute de ceux qui, voulant passer du précepte à l’exemple, se hasardaient sur nos théâtres à heurter les traditions reçues. Ces tentatives, pour la plupart, laissaient beaucoup à désirer; mais, par esprit de corps, il n’en fallait pas moins leur prêter assistance, et personne, à coup sûr, n’apportait à l’accomplissement de ce devoir de solidarité plus de bonne grâce et d’entrain que notre économiste. Autant, la plume en main, il se tenait de parti-pris dans les limites de son propre domaine, autant sa conversation était d’humeur plus vagabonde et ne se refusait aucune incursion sur le terrain d’autrui. Théâtre, poésie, roman, histoire, philosophie, tout lui servait de texte à de piquantes revendications en faveur des franchises du goût et de la pensée. Sans dire un mot de politique, il ne cessait de réclamer le juste et loyal exercice du principe de liberté.

Dès 1827, il ne s’en tint plus là : tout était bien changé; les événemens l’avaient lancé, comme toute notre phalange, en pleine vie publique. On sait quel retour d’opinion, quel prompt réveil venait